[Interview]
Quelle est la place de l’innovation en formation ? Comment les ingénieurs pédagogiques l’intègrent-ils dans les stratégies pédagogiques et les parcours de formation ? Les réponses de Clarisse Gilbert, ingénieure pédagogique responsable de l’innovation chez ORSYS.
Comment ton parcours t’a-t-il amenée à l’innovation en formation ?
Mon master en ressources humaines et droit ne me prédestinait pas au métier d’ingénieur pédagogique ni à l’innovation en formation. Mais on peut dire que le hasard a bien fait les choses. J’ai débuté ma carrière à l’international. Ma mission : former des managers en Italie et en italien ! Plus précisément, en tant que solution designer, mon rôle était d’abord de créer des parcours originaux à destination de managers et divers métiers. Puis de les animer. C’était un cabinet très innovant. Donc, j’ai tout de suite baigné dans les approches « non conventionnelles » de la formation.
Pour toi, c’est quoi l’innovation en formation ?
Avant tout, l’innovation en formation, c’est faire autrement, à condition que cela ait du sens. Selon moi, il faut faire simple et surprendre.
Faire simple, c’est éviter de se disperser. Par exemple : ne pas utiliser trop de gadgets, ne pas multiplier les outils visuels sans stratégie d’ensemble. Pour éviter ces écueils, l’ingénieur pédagogique doit fonctionner comme un chef d’orchestre et trouver le juste milieu ou le juste maillage à des moments charnières de la formation.
Surprendre nécessite en premier lieu d’assurer une veille permanente sur les nouvelles technologies et les nouvelles manières d’apprendre.
Enfin, le plus important, c’est de rester focalisé sur l’efficacité pour les apprenants :
- Améliorer leur engagement pendant la formation
- Faciliter la transposition dans leur quotidien professionnel
- Conserver leur acquis sur le long terme
Quelle place pour l’IA dans l’innovation en formation ?
Dans le domaine de la formation, l’intelligence artificielle (IA) est pour le moment à la frontière de l’innovation pédagogique.
L’IA générative joue d’abord un rôle majeur dans l’automatisation des contenus. En particulier, du côté des formateurs, pour ce qui relève de la conception des contenus pédagogiques (textes et images). En effet, le contenu rédactionnel produit par l’IA donne une première base de bonne qualité. Avec ChatGPT, par exemple. Certes, les formateurs vont retravailler ces premières moutures mais cela permet néanmoins de gagner beaucoup de temps.
L’autre intérêt de l’IA se situe ensuite au niveau des évaluations que le formateur réalise pendant la formation. Là encore, l’IA générative peut permettre de créer plus facilement des quiz ou d’orienter les participants vers des ressources utiles.
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D’ailleurs, les formateurs ont un grand intérêt pour ces questions. C’est pourquoi ORSYS a lancé un atelier pédagogique interne sur l’IA pour ses formateurs. Et c’est un grand succès : toutes les places étaient prises en février.
Les solutions d’IA vont certainement continuer à se multiplier. Leur intégration dans les logiciels LMS (learning management system) avec, par exemple, des quiz interactifs et des bots conversationnels fait partie de l’innovation en formation.
Reste une grosse interrogation autour des contenus générés par l’IA. Qu’en est-il de la propriété intellectuelle ? Actuellement, une bonne pratique consiste à sourcer ces contenus. En attendant que la jurisprudence dissipe le flou juridique…
L’innovation est-elle l’avenir de l’ingénieur pédagogique ?
Je dirais que l’innovation est au cœur du métier d’ingénieur pédagogique. Et grâce à elle, l’ingénieur pédagogique a un bel avenir devant lui. C’est en effet un métier en pleine évolution.
Aujourd’hui, la tendance est au bi-modal : présentiel + digital learning ou animation hybride. Les temps en présentiel se réduisent, surtout du côté des managers. Ils recherchent des formations « flash » qu’ils peuvent compléter avec d’autres modules de formation. Cela peut se faire en classe virtuelle ou avec de l’e-learning. Par exemple : les jeux de rôle en présentiel restent incontournables, mais il va falloir commencer « à les penser différemment ». D’où un nécessaire besoin d’innovation.
Autre impératif : s’adapter aux attentes des nouvelles générations avec des modules courts. L’avenir, c’est donc de décliner ce savoir-faire sur différents médias pédagogiques. C’est aussi être capable d’évoluer pour concevoir des programmes de formation qui sortent du cadre.
Un conseil aux futurs ingénieurs pédagogiques ?
Ce métier est fait pour vous si vous aimez l’échange et l’innovation !
Bien sûr, mieux vaut être passionné par la transmission des savoirs et la pédagogie pour adultes.
Mais, un bon ingénieur pédagogique, c’est aussi un bon formateur. Parce qu’il faut être capable de se mettre dans la peau du formateur pour concevoir des formations « animables ». Cela signifie donc anticiper les contraintes que le formateur pourra rencontrer. Se poser les bonnes questions (combien de participants minimum et maximum…). C’est aussi ce qui permet d’innover dans la construction des parcours en prenant appui sur ce qui est efficace.
L’idéal, c’est de faire un master en ingénierie de la formation. Très complet, pas de dichotomie entre formation « classique » et digitale. L’alternance est un véritable plus pour découvrir la réalité du métier. Pour des profils en reconversion, la formation continue est également une piste. Par exemple, la formation Maîtriser les bonnes pratiques d’ingénierie pédagogique.
Quel rôle joue l’ingénieur pédagogique auprès des formateurs en matière d’innovation ?
Les ingénieurs pédagogiques travaillent main dans la main avec les formateurs mais, s’agissant d’innovation, on ne les coache pas ! L’idée, c’est plutôt d’élargir le champ des possibles en termes d’approches pédagogiques. On les accompagne dans l’évolution de leurs pratiques pédagogiques.
Cela passe par des échanges à l’occasion de la construction d’un nouveau programme de formation ou lors d’une validation mais aussi par des ateliers pédagogiques en fonction des besoins remontés par les formateurs. Celui sur l’IA que j’ai déjà évoqué. Ou encore, sur d’autres outils : Klaxoon, Mural… Par exemple, ce dernier outil permet de coordonner le travail en petits groupes puis de le restituer en « plénière ».
Et, bien sûr, les formateurs sont aussi force de proposition en matière d’innovation !
Concrètement, quels sont les grands axes de l’innovation en formation chez ORSYS ?
Ça commence par une captation du terrain : d’abord écouter les clients et les formateurs pour comprendre le ressenti des apprenants. C’est ce qui permet de développer différents axes.
Le premier axe, c’est celui des modules immersifs. Par exemple : réalité virtuelle et escape game pédagogique. La plus-value, c’est un ancrage très fort sur un temps très court. Cela permet au participant de prendre conscience de ses comportements et aussi de sa marge de progression.
Le deuxième axe, c’est le team building. Nous développons des propositions sur mesure, que ce soit du théâtre, du sport…
Le troisième axe, c’est l’équicoaching qui nous est de plus en plus demandé aujourd’hui. Les managers vont aller s’immerger par le média cheval pour mieux développer leurs compétences de leadership ou encore pour apprendre à stimuler leur équipe en termes d’intelligence collective.
Le quatrième axe, c’est l’offre de conférences d’ORSYS, par exemple en guide d’introduction sur des séminaires d’entreprises. Des sportifs, artistes, grands cuisiniers… viennent témoigner de leurs recettes du succès. Recettes qui sont ensuite exportables dans le monde de l’entreprise.
Quelles sont les expériences formatives innovantes qui t’ont le plus marquée ?
Il y a d’abord eu ce team building dans un château, organisé pour 40 personnes. C’était des parcours ludiques dans une très bonne ambiance.
Une autre expérience « wahou » qui me vient à l’esprit, c’est quand on a fait appel à des comédiens de théâtre pour sensibiliser des personnels de mairie au télétravail. Une superbe rencontre entre deux mondes qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer ! Et enfin, un escape game mémorable : la simulation d’un tableau de bord d’une fusée spatiale. C’était très immersif !
Retrouvez également le premier épisode de « C plié en 4 » sur le thème de l’innovation pédagogique :