Optimiser la performance d’une entreprise en éliminant les gaspillages et en améliorant l’efficacité. C’est l’objectif du lean management. Appliqué principalement dans l’industrie (lean manufacturing), il s’agit avant tout d’un état d’esprit à adopter pour améliorer continuellement les processus de l’entreprise. Alors, en quoi le lean management constitue-t-il une méthodologie efficace ? Quels sont les principaux outils ? Quelles sont les étapes clés de la mise en place d’un système lean ? Quels sont les défis et les limites de sa mise en application ? Éléments de réponse avec Pierre Sarramaigna, expert en management, gestion de production et excellence opérationnelle.
« Le lean management est avant tout une philosophie, une culture de l’amélioration identifiée par des comportements qui s’appuient sur des outils simples à utiliser ». Historiquement, le lean s’est d’abord largement déployé dans différentes industries : automobile, aéronautique, pharmaceutique… Ce concept a été développé par Toyota dans les années 1950, avec la mise en œuvre du Toyota Production System (TPS), un nouveau mode de gestion des activités industrielles. L’objectif : éliminer toute activité sans valeur ajoutée pour le client final.
Cette réussite interpelle une équipe de chercheurs à la fin des années 80. Conclusion : le TPS de Toyota peut s’appliquer dans toutes les entreprises de tous les secteurs et de tous les pays. D’où la naissance du terme « lean » (« maigre », « sans gras », en français). Dix ans plus tard, l’ouvrage The Machine That Changed the World (1991) contribue à populariser la philosophie du lean manufacturing et a inspiré de nombreuses entreprises à adopter cette approche pour améliorer leur efficacité et leur compétitivité.
Depuis, le lean management a intégré d’autres concepts et méthodes liés à l’amélioration continue, comme la théorie des contraintes, la méthodologie Six Sigma® ou encore les méthodes Agiles. L’objectif reste identique: la recherche d’optimisation et un besoin d’efficacité pour viser la performance à tous les niveaux de production.
Quels principes fondamentaux ?
Les principes du lean management incluent l’amélioration continue, l’optimisation des process et des flux de production, l’engagement des employés, le respect des règles et des normes Qualité. Le but est de créer une entreprise flexible, capable de répondre rapidement aux demandes des clients tout en minimisant les coûts et les délais de production. Autrement dit, il s’agit de mettre en place une culture d’amélioration continue en éliminant les gaspillages (« muda » en japonais) dans un système de production ou de service, afin de maximiser la valeur ajoutée pour les clients.
L’élimination des gaspillages
Les gaspillages peuvent prendre trois formes différentes selon leurs natures :
- Muri : la saturation d’une ressource, une tâche excessive, trop difficile, voire impossible ;
- Mura : les phénomènes de variabilité ;
- Muda : les tâches sans valeur ajoutée.
Typologie de muda
- erreurs, défauts et rebuts ;
- temps d’attente et les délais ;
- stocks inutiles ;
- transports et les manutentions inutiles (des produits) ;
- mouvements et les déplacements inutiles (des collaborateurs) ;
- sous-utilisation des compétences.
Parmi ces types de gaspillages, on peut relever deux spécificités :
- la surproduction (produire trop ou trop tôt) qui affecte les finances de l’entreprise ;
- le surprocessing (les opérations superflues, les contrôles de surqualité).
On distingue donc le temps à valeur ajoutée, du temps à non-valeur ajoutée : tout ce qui est nécessaire pour créer de la valeur ajoutée (allumages des machines, changement d’outils…) et les gaspillages.
D’autres principes clés
Autre principe fondamental, l’état des lieux sur le terrain. Il s’agit de rencontrer les opérationnels (production, logistique…), de repérer (rapidement) les problèmes et de déterminer leurs causes, et d’appliquer l’intelligence collective pour les résoudre. C’est le principe du Gemba Walk.
Le lean nécessite une certaine rigueur méthodologique. « C’est la condition pour pérenniser les outils ». En d’autres termes, il s’agit de déterminer collectivement des règles, respecter les standards, les normes (ISO 9001 pour le management de la qualité, HACCP pour l’agroalimentaire…)… « et les maintenir à un haut niveau d’adhérence, voire les faire évoluer ».
Par ailleurs, l’engagement des employés – à tous les niveaux (lignes de production, pilotage, fonctions supports…) – est impératif pour s’approprier les outils. Une fois ces fondamentaux mis en place, reste à proposer des solutions efficaces et durables.
Quels outils ?
Une « boîte à outils » se constitue pour mettre en œuvre le lean management dans l’industrie. On y retrouve des outils variés :
- cartographie de flux de valeur : SIPOC, diagramme Swimlane, VSM…
- diagrammes de processus visant à la résolution de problèmes : Ishikawa, 5 pourquoi, QRQC ;
- visuels : 5S, management visuel, standardisation…
- « Juste-à-Temps » : Kanban, Takt Time, flux poussé/tiré ;
- stratégiques : « Hoshin Kanri » pour déployer la vision d’entreprise.
La méthode des 5S, un outil visuel efficient
La méthode des 5S est une technique d’organisation et de gestion de la qualité. L’objectif : améliorer et sécuriser l’environnement de travail. À l’origine, on retrouve cette méthode dans les ateliers de production, puis les bureaux et les services. Au moyen de tableaux, puis de solutions dématérialisées (SQCDP) pour un affichage en temps réel, on relève des indicateurs de performance et l’on mesure les écarts au cours des 5 étapes clés : tri, rangement, nettoyage, standardisation puis amélioration. Cet outil visuel permet ainsi une appropriation plus rapide.
Le lean, pour qui ?
Le lean management peut s’appliquer dans tous les types d’entreprises. Reste à savoir s’il existe une équipe dédiée à sa mise en œuvre, si le lean fait partie intégrante de la stratégie… auquel cas, l’entreprise doit en rendre compte, sous couvert de normes et de certifications. Dans les petites entreprises, en général, il n’y a pas de personnes dédiées. Les dirigeants de TPE/PME et les managers intermédiaires se forment donc en ce sens.
Quelles étapes clés, selon quelle stratégie ?
La mise en place de la méthodologie lean dans une entreprise industrielle implique généralement les étapes suivantes :
- l’identification de processus clés ;
- l’identification des gaspillages ;
- l’amélioration des processus ;
- la mise en place d’une culture d’amélioration continue ;
- la standardisation de processus améliorés.
Ces différentes étapes clés varient selon la stratégie d’entreprise. S’il s’agit d’un déploiement complet de la méthode – 3 à 5 ans – il faut alors définir un objectif, un plan de transformation. « Tout se joue dès la préparation pour mettre en application le lean management ». Parmi les actions à mener : désigner les pilotes des projets, mener le projet pilote puis le dupliquer afin que « le lean s’ancre dans le collectif de manière durable ».
Quoi qu’il en soit, il faut établir un diagnostic de performance, identifier les sources d’amélioration, mener des pilotages réguliers et des actions d’amélioration durables. C’est l’objectif des chantiers Kaisen. Sans oublier les actions de sensibilisation : la formation, un accompagnement régulier pour « faciliter l’avancement des projets et sécuriser les équipes », des activités de codéveloppement. C’est sans compter également sur les retours d’expérience pour « améliorer les standards et faire évoluer les bonnes pratiques dans l’entreprise ». Le facteur clé du succès : la présence et l’implication de la Direction et du top management, la définition d’objectifs et de plans d’action clairs. Des conditions essentielles pour mettre en place le lean management.
Quelles limites, pour quelles solutions ?
Le déploiement du lean management peut se heurter à certains obstacles. Il faut d’abord se poser les questions suivantes : quel sens on donne à une démarche lean ? Ce sens est-il partagé ?
Ensuite, il existe plusieurs façons de mettre en place le lean. Il ne faut donc pas se focaliser sur les outils, mais plutôt « se les approprier et adapter les concepts sans perdre de vue le sens commun ». Le lean management doit améliorer les performances et l’engagement des équipes. À condition de disposer de moyens suffisants pour y parvenir. « Il faut donc persévérer, car les effets ne sont pas forcément immédiats ». Et, les défis sont nombreux. La mise en place d’un système lean implique :
- d’informer les équipes et d’expliquer : définir les rôles de chacun, parvenir à impliquer volontairement ;
- de rassurer : en se faisant accompagner par un expert en interne ou en externe, notamment lorsqu’il s’agit de se lancer sur un chantier 5S par exemple ;
- de ne pas être trop ambitieux : viser de petits succès en minimisant les efforts produits grâce à des outils simples et efficaces ;
- d’être constant : il s’agit de mener des projets durablement, d’insister, d’être convaincu et convaincre de l’efficacité et de l’intérêt de l’approche lean.
« La maturité du lean reste modérée sur l’ensemble des entreprises. Cette démarche reste moins évidente pour les TPE/PME, et bien souvent, on n’a pas travaillé en amont sur l’amélioration du process ». Le vrai défi consiste donc à sensibiliser les petites entreprises pour les acculturer au lean management. Un défi qui passe donc par la mise en place de chantiers de base comme les 5S et de routines dans l’entreprise.
Ce qu’il faut retenir : le lean management est une méthodologie efficace pour améliorer les processus industriels, ainsi qu’un état d’esprit à adopter pour améliorer continuellement les processus de l’entreprise. Cette approche peut également se déployer dans d’autres domaines ou secteurs d’activité : IT, construction, banque, santé…