Pour répondre à une demande croissante, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, la logistique e-commerce doit s’adapter. Les enjeux sont nombreux : repenser le dernier kilomètre, maîtriser le coût de la préparation de commande, développer une offre premium, fiabiliser la demande… Alors, comment optimiser sa logistique e-commerce ? Julien Monterisi, spécialiste de la logistique e-commerce, répond aux questions d’ORSYS.
Comment se porte la logistique e-commerce en France ?
Pour comprendre le contexte de la logistique e-commerce, il faut croiser les données du e-commerce et de la logistique. D’abord, le secteur du e-commerce se porte bien en France. Ce marché arrive au stade de la maturité. En effet, tous les secteurs d’activité sont passés au e-commerce, que ce soit en cross-canal ou exclusivement en ligne.
C’est d’ailleurs ce qui ressort du dernier bilan de la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance). Ainsi, en 2022, le e-commerce conserve une croissance globale dynamique. Pour en reprendre quelques chiffres clés : les ventes en ligne progressent de 14 %, tirées par la vente de services, portant le chiffre d’affaires à quelque 147 milliards d’euros. Et, même si les ventes de produits en ligne ont reculé de 7 % l’année dernière, elles restent largement en hausse par rapport à 2019 (+ 33 %). Le e-commerce représente 12,5 % de la vente de produits dans le commerce de détail. Le nombre de sites marchands actifs croît quant à lui de 5 % avec plus de 10 000 nouveaux sites en un an. Enfin, le panier moyen s’établit à 65 €, soit une hausse de près de 7 %.
Dans ce contexte, les activités logistiques, et plus particulièrement e-logistiques, sont en croissance. Pour donner un ordre d’idée de l’importance de la filière, la logistique représente 10 % du PIB français. Elle compte 150 000 entreprises et emploie 1,8 million de personnes. Tout cela pour un chiffre d’affaires de quelque 200 milliards d’euros en 2020-2021.
Néanmoins, la logistique e-commerce est confrontée à des enjeux spécifiques par rapport à la logistique traditionnelle.
Quels sont les plus grands enjeux de la logistique e-commerce ?
Les enjeux se trouvent à différents niveaux.
Sur le plan social, on pense en premier lieu à l’ubérisation de la livraison. Mais il semble plus probable qu’émerge un modèle économique adapté aux centres urbains avec des acteurs économiques recourant à des salariés. En revanche, la problématique du recrutement apparaît d’ores et déjà comme majeure avec la pénurie de main-d’œuvre actuelle. La logistique est synonyme de métiers physiques, qu’il s’agisse du transport ou de la préparation de commande. Ces métiers qui n’attirent plus sont pourtant en pleine évolution. Avec l’automatisation des entrepôts, de nouveaux besoins de compétences émergent qui les rapprochent des métiers de l’industrie. Il faut aussi maîtriser les outils informatiques liés au e-commerce.
Sur le plan économique, la logistique e-commerce doit maîtriser ses coûts pour conserver sa rentabilité, mais sans rogner sur la qualité. En particulier, il faut repenser la logistique du dernier kilomètre, autrement dit être capable de faire de la logistique de centre-ville ou logistique urbaine. Autre défi de taille : la préparation de commande avec le conditionnement à l’unité. De plus, comment maintenir le lien avec ses clients quand la dernière étape (livraison, retrait du produit) est effectuée par un prestataire ?
Sur le plan environnemental, les contraintes se renforcent également, tant au niveau sociétal que juridique.
Dans ce contexte, comment les acteurs s’adaptent-ils aux contraintes de la logistique urbaine ?
Les clients sont majoritairement situés dans de grands centres urbains. Aujourd’hui, pour limiter les coûts, le standard est encore la livraison via des camions mutualisés. Or, le bannissement progressif des moteurs thermiques au sein des ZFE (zones à faible émission) contraint les acteurs de la logistique à s’adapter.
D’une part, cela leur impose de verdir leur flotte avec des fourgons électriques et des vélos cargos. Et pourquoi ne pas investir dans de petits robots de livraison, comme à Shanghai et à Londres ? Mais, bien sûr, développer de façon importante une flotte de véhicules adaptés renchérit le coût du dernier kilomètre.
Difficulté supplémentaire : les nouvelles réglementations se traduisent par une grande hétérogénéité des normes applicables sur le terrain. En effet, au-delà du cadre global, chaque commune s’organise comme elle le souhaite pour la mise en œuvre. C’est le nouveau défi des transporteurs, soumis à des contraintes différentes selon les villes livrées.
D’autre part, la logistique e-commerce va devoir s’appuyer de plus en plus sur de petites plateformes logistiques en ville, au plus près du destinataire.
Cela signifie le développement d’entrepôts en ville ?
La logistique de centre urbain est effectivement en train d’évoluer. D’abord, pour le commerce multicanal avec la diminution progressive de la surface de vente pour augmenter la surface logistique. Mais aussi avec l’apparition de petits entrepôts en ville, qu’on appelle également mini-centres de préparation ou mini-centres de logistique (avec une mécanisation à plus petite échelle que dans les grands entrepôts). Ils permettent d’avoir plus de stock en ville, donc de se rapprocher du client.
Cela présente un double avantage : d’une part, diminuer le délai de mise à disposition ou de livraison, d’autre part, diminuer le coût du dernier kilomètre. Par exemple : dès 2021, le cabinet de conseil Adameo, spécialisé en logistique et supply chain, et la société AutoStore, spécialiste de l’automatisation des entrepôts, ont installé un lieu de stockage automatisé dans une plateforme de distribution de courrier et colis de La Poste à Paris.
Qu’en est-il des grands entrepôts dédiés à la logistique e-commerce ?
Dans les grands entrepôts, les évolutions sont liées à la spécificité de la préparation des commandes issues du e-commerce. Il ne s’agit plus de déplacer des palettes mais d’un processus de picking. En effet, une grande majorité des commandes ne contient qu’un seul produit ou une seule unité de plusieurs produits différents. Cela implique beaucoup de déplacements pour aller chercher ces produits dans des entrepôts logistiques de plus en plus grands. Pour donner un ordre d’idée : de 12 à 15 km par jour par opérateur de commande. Des déplacements sans valeur ajoutée !
Pour contrer cette difficulté, le modèle Goods To Man s’est beaucoup développé en trois ans jusqu’à devenir un standard dans la logistique e-commerce. Ce sont les produits qui se déplacent vers les personnes : des robots vont chercher des caisses ou des étagères se déplacent jusqu’au poste de travail de l’opérateur logistique. Celui-ci réalise alors l’emballage des produits et l’étiquetage en vue du transport. Par exemple, Transitic, spécialiste de l’intralogistique connecté, crée des chemins automatisés au sein de l’entrepôt pour acheminer les produits jusqu’à l’étape de l’expédition.
La nécessité de maîtriser le coût de la préparation de commande explique aussi le développement de la mécanisation et de la robotisation de la filière. On parle aussi d’automatisation, voire d’industrialisation, de la logistique. Le coût de ces installations est certes important, mais tend à diminuer. Et surtout, il est contrebalancé par les gains de productivité : de + 40 % à + 60 %. Sans compter le gain d’espace dans les entrepôts. Stocker plus de marchandises dans de plus petites surfaces, c’est aussi réduire le coût immobilier.
Au-delà d’un évident avantage financier, y a-t-il d’autres avantages à adopter ce type d’organisation ?
Tout à fait. Et cela devrait même devenir stratégique dans les 10 ans à venir.
En effet, la construction de nouveaux entrepôts risque d’être largement freinée par les réglementations interdisant l’artificialisation des sols. Là encore, la contrainte environnementale pèse fortement sur le secteur de la logistique. On peut se demander à quoi ressembleront les entrepôts du futur. Auront-ils plusieurs étages ? Seront-ils conçus en matières recyclées ou recyclables ? Leurs toits seront-ils végétalisés ?
Par ailleurs, l’automatisation permet de diminuer la surface au sol, mais augmente la consommation d’énergie. Énergie dont le prix augmente également…
On peut n’y voir que des contraintes ou… des opportunités. Par exemple : systématiser les panneaux photovoltaïques sur les toits des entrepôts pour produire une partie de l’électricité qu’ils consomment… contribuant ainsi à diminuer leur impact environnemental en même temps que les coûts logistiques.
Quelles sont les spécificités de la logistique e-commerce en matière de gestion des stocks ?
La gestion des stocks n’est pas spécifique à la logistique e-commerce, c’est une question de logistique générale. Néanmoins, pour une enseigne cross-canal, la problématique actuelle c’est de rendre son stock disponible partout et en même temps. Pour une entreprise d’e-commerce, la question peut se poser si elle dispose de plusieurs entrepôts logistiques distants. Dans ce cas, la solution c’est le « stock unifié ». La logistique doit être capable d’aller chercher le produit là où le coût de préparation sera le moins important. Pour cela, les professionnels peuvent s’appuyer sur des logiciels – par exemple, le français OneStock – qui rendent le stock visible où qu’il se trouve et calculent ce qui sera le moins coûteux. Autrement dit, choisir le produit qui est en stock dans un magasin proche du lieu de livraison plutôt qu’un produit dans un entrepôt éloigné.
Le contexte de pénurie actuel affecte-t-il la gestion des stocks ?
Absolument. On peut même dire qu’il fait exploser les règles habituelles de gestion des stocks. En effet, en cas de rupture sur un site e-commerce, le client peut très facilement passer commande sur un site concurrent. On observe donc le surstockage de certains produits au détriment de l’optimisation des coûts.
Comment la logistique e-commerce peut-elle éviter cet écueil ?
Dans une vision supply chain plus large, la clé c’est d’évaluer avec plus de précision la demande, voire passer de la prévision à la prédiction. Pour cela, il y a bien sûr l’intelligence artificielle, le big data ou encore le machine learning. Mais cela demande des compétences de data scientist ou de data analyst. Au contraire, les professionnels de la logistique ont besoin d’outils simples à prendre en main et à déployer. Les éditeurs de logiciels l’ont bien compris et travaillent en ce sens. Par exemple, la start-up française Verteego.
Par ailleurs, l’inventaire physique reste incontournable. Aujourd’hui, la technologie RFID permet de mémoriser et de récupérer des données à distance (de quelques centimètres à plusieurs dizaines de mètres). Les tags RFID ou radio-étiquettes accélèrent les opérations de réception et fiabilisent les stocks. Pour l’inventaire, le gain de temps est considérable, de quelques minutes à une heure au maximum pour un magasin. Si les tags sont de moins en moins coûteux (10 à 15 centimes par tag), le matériel pour les gérer (lecteur RFID) est plus onéreux. Demain se posera sans doute la question du recyclage ou du réencodage des tags.
Face à tant d’évolutions et de contraintes, comment tenir la promesse client ?
Au préalable, il faudrait sans doute redéfinir la promesse client.
D’abord, parce que le e-consommateur semble avoir des attentes contradictoires. Il voudrait être livré vite, au plus près de chez lui (si possible à domicile), de façon personnalisée et sans que cela n’ait d’impact sur l’environnement. Il va pourtant devoir faire des choix.
Ensuite, parce que les professionnels gagneraient à s’assurer des réels besoins de leurs clients. Certains acteurs ont imposé leur capacité à livrer très rapidement comme un standard. Cela répond-il vraiment aux attentes ? On peut en douter. En moyenne, un client met plus de cinq jours pour aller chercher sa commande, pourtant livrée en trois jours en point relais.
Aujourd’hui, les attentes semblent porter davantage sur la qualité de la livraison à travers un panel de services visant à assurer plus de flexibilité et de fiabilité. Exemples : des créneaux précis de livraison, la possibilité de reprogrammer sa livraison à un autre moment ou à un autre endroit, des retours de produits simples.
« Apporter des services différents pour se rapprocher de ses clients »
Cela rejoint un autre grand enjeu de la logistique e-commerce : garder la main sur la relation client et l’image de son entreprise. En effet, quand le prestataire logistique gère la préparation de la commande et la livraison, c’est lui qui transmet une bonne ou une mauvaise image de l’entreprise. Celle-ci « perd » une partie de sa relation client, réalisée par des personnes dont elle ne peut ni diriger ni contrôler le travail. Les enseignes travaillent donc de plus en plus sur les services supplémentaires procurant de la valeur ajoutée à la livraison pour recréer cette relation client. La reprise des anciens produits en fait partie.
Faut-il externaliser sa logistique e-commerce ? Quand ? Comment ?
Il n’existe pas de règles toutes faites ou de seuils (chiffre d’affaires, volume) permettant de déterminer à quel moment il faut externaliser sa logistique e-commerce. Tout dépend des contraintes propres à chaque entreprise. Bien sûr, internaliser sa logistique a un coût et nécessite une capacité d’investissement importante (entrepôts). Mais cela présente un avantage concurrentiel indéniable : garder la main sur sa relation client. On peut aussi se retrouver face à un entrepôt saturé ou décider d’une stratégie tournée plus vers la vente que la logistique.
Pour choisir le bon prestataire, il faut se poser certaines questions. Par exemple :
- Quelle relation voudrais-je avoir avec mon prestataire logistique ?
- Comment va évoluer ma volumétrie dans les années à venir ?
- Je suis un petit e-commerçant : quels sont les avantages et les inconvénients de choisir un petit ou un gros prestataire logistique ?
- Dois-je garder la main sur la partie transport ?
- Ce prestataire est-il en capacité de répondre aux commandes en assurant un service de qualité ?
De plus, une fois la logistique externalisée, le travail n’est pas fini : il faut auditer pour s’assurer que le prestataire remplit bien sa mission.
Enfin, externaliser sa logistique n’est pas un voyage sans retour. Les entreprises connaissent des cycles, selon les nécessités, qui les amènent à externaliser, réinternaliser, externaliser à nouveau, etc.