Pratiquez-vous le cross trade ? En matière de commerce international, les opérations de cross trade offrent des avantages logistiques considérables, allant de la réduction des coûts à la rapidité des livraisons. En effet, la marchandise que vous vendez ne transite pas par vos entrepôts. Toutefois, la pratique du cross trade soulève des questions de transparence, de fiscalité et de gestion des risques. Alors, entre opportunités et risques, quelles sont les stratégies pour réussir vos opérations de cross trade et ainsi optimiser votre chaîne d’approvisionnement ? Le point avec Alain Wolgensinger, spécialiste en commerce international.
Cross trade : de quoi s’agit-il ?
Aussi connu sous l’appellation « opération triangulaire », le cross trade désigne la transaction dans laquelle votre entreprise vend une marchandise qu’elle fait expédier à son client directement depuis son fournisseur. Autrement dit, la marchandise ne passe plus par votre entrepôt. Votre entreprise se contente alors de gérer un flux financier : recevoir (et régler) la facture du fournisseur, émettre (et se faire régler) la facture au client. Exemple d’opération cross trade :
Cette pratique est courante dans l’e-commerce, où l’on parle de drop shipping (livraison directe).
Les chiffres clés du drop shipping :
Selon un récent rapport de Grand View Research, société de conseil américaine, le marché mondial du drop shipping représentait près de 226 Md$ en 2022. Ce marché devrait en outre connaître une « croissance significative » entre 2023 et 2030, de l’ordre de + 23,4 % par an. Une croissance qui s’explique par une préférence accrue pour le commerce en ligne, couplé à la tendance croissante du commerce électronique transfrontalier.
Une tendance que confirme le dernier bilan de la Fevad (Fédération du e-commerce et de la vente à distance). Ainsi, aux États-Unis, le montant des ventes e-commerce a dépassé les 1 000 Md$ en 2022 (+ 8,5 % par rapport à 2021), représentant une part du commerce de détail stable versus 2021 (14,7 %). En France, le chiffre d’affaires du secteur du e-commerce a atteint près de 147 milliards d’euros en 2022, en hausse de 13,8 % sur un an. Aux États-Unis, il se dit que 23 % des ventes en ligne seraient réalisées en drop shipping (selon un rapport de Forrester Research, un autre cabinet de conseil américain, en 2017). Appliqué à la France, cela représenterait quelque 33 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Les opportunités du cross trade
La pratique du cross trade est devenue monnaie courante dans le contexte mondial actuel. Elle offre en effet d’indéniables avantages aux entreprises.
Des coûts logistiques réduits
En éliminant l’entreposage physique, les entreprises économisent sur les frais de stockage et de manutention. Et c’est essentiel pour la profitabilité.
Tim Cook, le PDG d’Apple, dénonce le stock comme un mal car, selon lui, il coûte de 1 à 2 % de la valeur du produit… par semaine !
Une expansion internationale facilitée
L’approche cross trade permet également aux entreprises d’explorer de nouveaux marchés internationaux sans en subir les contraintes logistiques. Une PME peut ainsi desservir plusieurs pays à partir d’un même fournisseur situé sur le même continent.
Des délais de livraison optimisés
En faisant expédier directement du fournisseur au client, les entreprises peuvent accélérer les délais de livraison. Cela leur évite en effet la réception puis la réexpédition du produit.
Des coûts de fabrication réduits
Une opération de façonnage à l’étranger réduit les droits et taxes d’import. Par exemple : assemblage de pièces ou sous-ensembles automobiles en Inde.
Les défis du cross trade
La bonne mise en œuvre d’opérations de type cross trade nécessite au préalable d’identifier les possibles écueils.
Se poser les bonnes questions (liste non exhaustive)
Quelle transparence et quelle confidentialité ?
Le fournisseur pourrait-il être tenté dans l’avenir de recontacter votre client en direct ?
Quel degré de maîtrise ?
Votre fournisseur a-t-il toutes les compétences requises (douanières, administratives, humaines) pour la logistique déléguée ?
Point de vigilance :
Faute de pratique ou pressé par le temps, le fournisseur pourrait oublier de faire signer un document par les douanes de son pays (par exemple : EUR1). Cela entraînerait un blocage au pays d’arrivée.
Quelle possibilité de contrôle ?
Traçabilité : comment exercer un contrôle qualité – ponctuel et/ou durable – sur le produit expédié loin de vous ?
Responsabilité : comment rendre votre cross trade compatible avec votre politique RSE ?
Quelle fiscalité appliquer ?
Pouvez-vous facturer HT ? Autrement dit, avez-vous à disposition les preuves nécessaires qui vous y autorisent (déclaration douanière, document de transport…) ?
Quelle origine afficher ?
La question est parfois épineuse.
Exemple :
Votre client pense-t-il acheter un produit made in France (et donc substantiellement transformé sur ce territoire) ? L’origine est-elle modifiée en cas de façonnage préalable à l’étranger ?
Quelle gestion du risque de change ?
Cette question se pose si votre fournisseur vous facture dans une autre monnaie que celle dans laquelle vous facturez votre client.
Quelle stratégie pour réussir vos opérations cross trade ?
Pour réussir les opérations de cross trade, une approche méthodique s’impose. La stratégie repose sur 7 piliers essentiels.
1/ L’implication interne
La décision top-down de la direction de l’entreprise est recommandée pour être sûr que chacun s’approprie ce thème parfois complexe. Et pour rappeler l’enjeu RSE ! En effet, le cross trade peut impliquer différents services de l’entreprise. Parfois, la participation sera ponctuelle… mais toujours active.
Cette stratégie d’implication interne peut prendre la forme d’échanges d’informations ou de réflexions libres (type brainstorming) bien cadrés, suivis d’ateliers de mise en œuvre sur les sujets identifiés.
Par exemple :
- la compta pour la question de la facturation HT et celle de la conservation des documents
- le service commercial et celui de l’administration des ventes pour s’assurer du suivi de la livraison
- le service juridique pour s’assurer que l’entreprise dispose d’une charte de bonne conduite à faire signer aux fournisseurs et de conditions générales d’achat actualisées
2/ L’optimisation de la logistique internationale
Il est crucial d’établir des partenariats avec les principaux fournisseurs concernés et/ou des prestataires experts en logistique internationale (3PL voire 4PL capables de concevoir des solutions globales).
3/ La gestion numérique locale et globale
En local, car le service d’information de l’entreprise doit s’assurer de l’adéquation du système utilisé et, au besoin, investir dans des systèmes d’information experts : WMS (pour les entrepôts), TMS (pour les transports), intégration ERP si l’enjeu le justifie.
En global, car des interconnexions de type Extranet avec les fournisseurs de première importance peuvent s’avérer très utiles. Surtout si cela facilite l’accès aux preuves documentaires à conserver précieusement.
4/ La gestion financière
Utiliser des instruments financiers tels que les contrats à terme ou outils proposés par des organismes spécialisés permet de se protéger contre les fluctuations des taux de change.
5/ La gestion juridique
Conformité réglementaire : collaborer avec des experts en commerce international permet de garantir la conformité aux lois et réglementations internationales.
Les questions de réglementation douanière (origine) nécessitent une attention particulière.
6/ La responsabilité sociale des entreprises (RSE)
Maintenir de bonnes pratiques RSE tout au long de la chaîne d’approvisionnement (amont et aval) est indispensable.
7/ La formation du personnel
Enfin, formez vos équipes à la logistique internationale et aux réglementations douanières pour minimiser les erreurs !
Étude de cas :
LogiMultiTech* est une entreprise spécialisée dans la vente de produits technologiques grand public. Elle fait face à des coûts logistiques élevés et des délais de livraison prolongés. Cela résulte de l’acheminement des marchandises depuis ses fournisseurs internationaux jusqu’à son entrepôt, puis vers ses clients.
Sa solution ?
La mise en place d’une stratégie de cross trade, dont voici 4 grands axes.
- Optimiser les partenariats internationaux : LogiOptiTech sélectionne d’abord des fournisseurs fiables en Asie. C’est-à-dire, garantissant la qualité des produits et capables de livrer directement aux clients finaux en Europe.
- Simplifier les transactions financières : elle met en place des protocoles financiers fluides avec ses fournisseurs asiatiques et ses clients européens. L’objectif ? Assurer des paiements rapides et sécurisés sans impact significatif sur la trésorerie.
- Se doter des technologies nécessaires à une chaîne d’approvisionnement agile : l’entreprise intègre aussi une plateforme logistique innovante, améliorant la traçabilité des produits depuis l’Asie jusqu’à l’Europe. Cela réduit les erreurs, améliore la visibilité en temps réel et renforce la communication entre les acteurs de la chaîne.
- Passer à la livraison directe : elle élimine l’entreposage intermédiaire en Europe.
Des difficultés surmontées
LogiOptiTech a dû adapter les systèmes informatiques existants à la nouvelle stratégie, mener des négociations complexes avec les fournisseurs, s’adapter aux différences culturelles et aux exigences douanières, et former ses collaborateurs aux nouvelles procédures.
Des gains tangibles
Grâce à la mise en place du cross trade, LogiOptiTech a réduit ses coûts logistiques de 20 %. Elle a considérablement raccourci ses délais de livraison, passant de 15 jours à seulement 5 jours. La société a également enregistré une augmentation de 15 % de sa satisfaction client, renforçant ainsi sa position concurrentielle sur le marché.
*Exemple fictif visant à illustrer de manière concrète les concepts abordés dans cet article. Cette étude de cas se veut néanmoins représentative des stratégies de cross trade et de leurs bénéfices potentiels dans l’optimisation logistique.
En conclusion, certains aspects peuvent nécessiter plus de réflexion que d’autres. Pour autant, cette gestion minutieuse – mais accessible – permettra à votre entreprise d’exploiter pleinement les avantages et opportunités du cross trade tout en minimisant les risques de (mauvaises) surprises.