Fondamental dans le métier de commercial, l’art de négocier est un savoir-faire qui demande de la subtilité et de la maîtrise. Mais comment structurer sa démarche ? Jean-Claude Sattonnay, expert formateur et consultant en organisation des entreprises, déroule les étapes d’une négociation bien menée.

La négociation s’inscrit, et c’est parfois sous-évalué, dans un cadre juridique qui crée des obligations réciproques. Celles-ci relèvent du droit impératif exprimé dans le code civil, il s’agit d’obligations légales. Par exemple : l’obligation de loyauté, d’information, de conseil… Ces règles impératives – auxquelles les négociateurs ne peuvent déroger, sont complétées ensuite par des obligations contractuelles librement négociées entre les deux parties ou plus.
Exemple
Article 1104 du code civil
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».
Depuis 2016, les règles juridiques se sont resserrées. La partie « droit des obligations et des contrats » du code civil a en effet intégré la phase de négociation aux étapes de formation et d’exécution de bonne foi des contrats. Ainsi, si une information déterminante a été dissimulée par l’une des parties lors de la négociation, et que le contrat a ensuite été signé, cela peut entraîner un risque d’annulation rétroactive pour réticence dolosive.
Négocier : un jeu relationnel
La négociation est un processus de communication et d’échanges entre au moins deux parties, visant à organiser une relation ou à résoudre une problématique commune. Par conséquent, pour tout négociateur, il est nécessaire de concevoir la négociation avant de la mettre en œuvre.
Il faut donc déterminer :
- La stratégie adaptée
- La méthode structurante
- Les techniques et tactiques prévues lors du déroulement de la négociation
Il est aussi utile de rappeler que chaque négociateur à ses propres objectifs, divergents de ceux de l’autre partie. Grâce à des arguments de convergence, le résultat obtenu devra satisfaire les intérêts réciproques.
La négociation : un processus en plusieurs étapes
La négociation répondant à des schémas communicationnels spécifiques, l’exercice peut se préparer selon quelques principes clés appelés les « 6 C ».
CONSTRUIRE
CONTACT
CONNAÎTRE
CONVAINCRE
CONCLURE
CONSOLIDER
1. Construire : la préparation de la négociation
Quelle stratégie utiliser en fonction des enjeux, du contexte, des risques et des gains potentiels ?
Les éléments à prendre en compte
- Données : acteurs, motifs de la négociation, contexte, situation, enjeux, pouvoirs réciproques
- Clarification des enjeux : intérêts réciproques, importance de la négociation, conséquences opérationnelles et psychologiques
- Fixation des objectifs : évaluation de la zone d’accord possible (ZAP), marges de manœuvre réalistes intégrant la situation des marchés
- Choix du type de négociation : coopération ou compétition, besoin à long terme ou à court terme
- Sélection des concessions possibles et des contreparties envisagées
- Choix d’une méthode
- Techniques et tactiques à déployer
- Recherche d’arguments, anticipation des objections, parades possibles
- Mise en scène et aspects concrets
- Prévoir un plan B voire C
La technique de négociation BATNA
La BATNA, best alternative to a negociated agreement en anglais, est également appelée MESORE en français pour « meilleure solution de rechange/repli ». Cette technique permet de prévoir une solution de repli pour se préparer à sortir gagnant d’une négociation.
Dans cette phase, le négociateur doit construire et enrichir ses informations : négocier n’est pas marchander et nécessite une préparation adaptée à chaque situation. Autrement dit, négocier ne s’improvise pas.
Pour rappel, les 3 règles pour réussir une négociation sont :
- Règle n°1 : bien se préparer
- Règle n° 2 : bien se préparer
- Règle n° 3 : bien se préparer
Techniques et tactiques pour négocier
La technique est plutôt neutre et circonstancielle.
Deux types de techniques
- Technique de négociation séquentielle dite du salami
La négociation est découpée en séquences, point par point, suscitant le rapport de force.
Ne demandez pas tout d’un coup mais tranche par tranche. Vous pouvez alors débuter la négociation par un point secondaire et mettre en confiance votre interlocuteur en concluant. Vous pouvez ensuite aborder les autres points dans un ordre prédéfini du plus facile a priori au plus difficile. Ne terminez jamais par le prix et ne revenez jamais en arrière.
- Technique de négociation en bloc ou globale
Elle facilite la recherche d’un équilibre mutuel. En effet, cette tactique fait davantage appel à la ruse.
Vous abordez une négociation ouverte sur tous les points à négocier pour permettre de rebondir d’un point à un autre en fonction des concessions sollicitées et des contreparties envisageables. Le prix est toujours traité en dernier.
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2. Contact : l’accueil et la relation
Vous êtes en face à face. Quelle approche devez-vous alors adopter au niveau du relationnel ?
On distingue deux types d’approches en négociation.
- Les approches à prédominance compétitive. La plus connue est la « négociation par position ». Chacun part d’une position, et par concessions réciproques arrive à une zone d’accord, puis à un point d’accord. Cette approche privilégie le résultat par rapport à la relation.
- Les approches à prédominance coopérative. On retrouve principalement la « négociation raisonnée de Harvard » fondée sur la prise en compte des intérêts des différentes parties. Cette approche privilégie la relation. Il s’agit donc d’une stratégie gagnant-gagnant.
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3. Connaître : l’art du questionnement
Après avoir recensé les zones d’ombres identifiées lors de la phase 1, le négociateur s’informe afin de mieux comprendre la position de l’autre partie. Pour cela, il peut s’appuyer sur plusieurs méthodes de questionnement, parmi lesquelles :
- Les questions ouvertes pour faire s’exprimer l’autre
« Quelles sont les perspectives d’évolution de votre marché, de votre entreprise ? »
- Les questions fermées pour préciser certains points
« Souhaitez-vous trouver un accord aujourd’hui ? »
- Les questions alternatives pour clarifier les positions
« Votre priorité est-elle de vous développer à l’international ou d’augmenter vos parts de marchés ? »
Cette étape peut permettre aussi de valider les arguments préparés et ainsi de s’assurer d’envisager la négociation par le bon angle.
4. Convaincre : la colonne vertébrale de la négociation
Lors de cette phase, le négociateur va déployer sa méthodologie et s’appuyer sur sa préparation : objectifs, arguments, objections, parades aux objections, solutions de repli…
Formation
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Parmi les techniques abordées, vous apprendrez notamment à questionner votre interlocuteur, anticiper les objections et répondre aux questions.
En matière de comportement, pratiquer l’assertivité (ou affirmation de soi) permet d’une part au négociateur qui s’est bien préparé de renforcer sa crédibilité. D’autre part, de se centrer sur le résultat à obtenir et non sur son interlocuteur.
Il s’agit d’avoir une attitude qui vous permet d’exprimer clairement vos besoins et vos sentiments, et de savoir dire non.
L’affirmation de soi est avant tout un savoir-être et un savoir-communiquer.
Proscrivez les attitudes pénalisantes : agressivité, évitement ou manipulation.
Formation
Assertivité et affirmation de soi
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Exemples de travaux pratiques :
Jeux de rôle : utiliser différentes méthodes pour refuser une demande
Autodiagnostic avec le test de Thomas Gordon pour évaluer sa tendance aux quatre attitudes comportementales (agressivité, fuite, manipulation et assertivité)
5. Conclure opportunément (closing)
Lorsque l’objectif est atteint le négociateur est à même de conclure. Il va provoquer la conclusion et résumer (reformuler) les décisions et accords.
Les conclusions peuvent être séquentielles, en fonction des différentes thématiques abordées durant la négociation, et/ou globales.
Exemple : « Je vous propose de concrétiser notre accord sur ce point, sur lequel nous ne reviendrons pas, et de passer au point suivant. »
Il existe différentes tactiques de conclusion en fonction de la nature de la négociation et des relations entre les parties.
Par exemple : « Si nous arrivons à un accord sur ce dernier point, pouvons-nous envisager une conclusion rapide ? », « Je vous propose de résumer l’ensemble des points pour lesquels nous avons trouvé un accord. »
Il est nécessaire de valider les résultats par un protocole d’accord.
En conclusion, le protocole d’accord est un avant-contrat qui permet de matérialiser par écrit le résultat de la phase de négociation en cours.
Le contrat qui suit est la formalisation des points négociés.
Le face-à-face est terminé.
6. Consolider : la relation et son cadre
Au-delà des points opérationnels, le contrat décrit les obligations juridiques diverses liées à la nature de la négociation et à l’exécution des obligations contractuelles. Il inclut des clauses punitives et/ou des clauses incitatives. Par exemple : le bonus-malus.
Formation
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Les participants en parlent :
« Je suis venue avec des interrogations. Je repars avec une to-do de points à vérifier dans nos contrats. Je vais désormais me sentir plus légitime dans mes positions quand je relirai des contrats. »
Formation
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Négocier au téléphone
Les limites du téléphone dans une négociation
Le téléphone n’est pas l’outil idéal pour mener une négociation. En effet, une grande partie des éléments constitutifs de la communication interpersonnelle disparaît, notamment la communication non verbale. Pas de visage, mimiques, gestuelle, ni de ressenti exact…
C’est pourquoi le téléphone est utilisé essentiellement dans les situations dites de marchandage, à savoir les échanges non complexes, de courte durée et aux enjeux limités.
Mais le contexte et des contraintes peuvent vous amener à négocier par téléphone.
Le meilleur choix dans la négociation à distance reste la visioconférence. Elle permet en effet de revenir en partie aux conditions du face-à-face.
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Les bonnes pratiques pour négocier efficacement par téléphone
Règle d’or : ne jamais négocier sur un appel de l’autre partie. En effet, lorsqu’elle vous appelle, c’est qu’elle est prête. Son dossier est ouvert sous ses yeux avec ses objectifs, ses arguments, ses informations… Vous, de votre côté, n’êtes pas prêt. Votre esprit est occupé. L’asymétrie de pouvoir est trop grande pour être facilement compensée.
Il faut donc s’accorder sur un rendez-vous téléphonique qui permettra de rééquilibrer la situation. Si négocier en face-à-face exige une certaine aisance gestuelle et une bonne communication, la négociation téléphonique, quant à elle, ne se résume pas à un simple échange empirique, ni à une improvisation.
Par ailleurs, la qualité de l’expression verbale et de la construction de celle-ci est prééminente : discours compréhensible, phrases courtes, silences, répétitions, reformulation, questions précises, tonalité claire, rythme de la voix posé, déroulé du plan préparé respecté, argumentation séquencée…
En face-à-face, vous vous rappelez plus aisément de ce que vous voyez, entendez et écrivez. De ce fait, les échanges lors des négociations sont plus faciles à mémoriser.
Dans les négociations par téléphone, votre mémoire peut vous faire défaut car l’ensemble de vos sens ne sont pas réquisitionnés : pas de visuel, faible ressenti, non-verbal gommé (mémorisation des informations orales pendant 24 heures et taux de rétention faible). Vous devez donc vous appuyer sur un support de prise de note thématique. Comme pour la négociation en face-à-face, le plan de négociation établi vous guide dans votre cheminement. Et tous les points d’accord sont formalisés à chaud via un e-mail par exemple.
Le téléphone n’est donc pas le canal le plus performant pour mener à bien une négociation. Mais il est utile dans un certain nombre de circonstances : éloignement, facteur temps, historique relationnel, enjeux et priorités…
Cas d’usage
Une entreprise manufacturière était confrontée à des pressions sur les coûts en raison de la hausse des prix des matières premières. Grâce à des négociations efficaces avec les fournisseurs, en mode gagnant-gagnant, l’entreprise a pu réaliser des réductions de coûts significatives. Elle a collaboré étroitement avec ses fournisseurs pour identifier les opportunités de réduction des coûts : exploration de matériaux alternatifs, refonte des produits pour réduire l’utilisation de matériaux, mise en œuvre de techniques de fabrication allégée, intégration d’une approche TCO (total cost of ownership).
En travaillant avec ses fournisseurs et en tirant parti de leur expertise, l’entreprise de fabrication a ainsi pu négocier des coûts de matériaux inférieurs, ce qui a entraîné des économies substantielles et une meilleure rentabilité.
Vous l’avez compris : conduire une négociation ne s’improvise pas. Il faut ainsi être capable d’anticiper le comportement de l’autre partie, maîtriser les techniques de vente ou d’achat, s’appuyer sur le cadre juridique et sur les techniques de négociation et savoir se comporter en situation de négociation. Pas de panique : il existe des formations ORSYS pour apprendre à conduire une négociation d’une main de maître.