La frénésie médiatique autour du web 3.0 semble retombée. En cause, l’effondrement du bitcoin à fin 2022, la faillite de FTX et l’échec du métavers Horizon Worlds de Meta. Depuis le début de l’année 2023, les feux des projecteurs sont désormais braqués sur ChatGPT et les intelligences artificielles (IA) génératives. Toutefois, l’évolution rapide et constante des technologies fait émerger un nouveau web, très différent de celui d’hier. Alors, quels sont les enjeux de ce nouveau web ? Dans quelle mesure les entreprises doivent-elles se préparer à une reconfiguration significative de leurs approches marketing ? Les explications avec Hervé Druez, spécialiste de l’intégration du marketing dans les stratégies marketing et communication des entreprises.
Depuis 25 ans, l’évolution du digital a massivement changé les usages et comportements : mobile, e-commerce, jeux vidéo, etc. C’est sans compter également sur de nouveaux enjeux et attentes : sécurisation et transparence de l’identité numérique, contrôle des données, diminution de la dépendance aux grands acteurs du GAFA, protection contre le hacking des données, désinformation et fake news, etc.
Ainsi, pour répondre à ces problématiques, de nombreuses initiatives sont d’ores et déjà mises en place. Là où un problème subsiste, des opportunités de création de valeur existent. Par exemple, beta.gouv, l’incubateur des services numériques de l’État français, a lancé la plateforme DossierFacile pour sécuriser la transmission des données entre locataires et propriétaires. L’entreprise joue ainsi le rôle de tiers de confiance étatique, évitant le risque que vos données privées (salaires, imposition, etc.) ne se retrouvent sur Internet. Plus de 225 000 dossiers ont ainsi déjà été traités.
Les technologies au service des usages
Blockchain, cloud computing, réalité virtuelle, métavers, IA générative… Derrière des termes souvent obscurs, ces technologies apportent de nouvelles réponses pour améliorer l’expérience du digital.
Comme l’a souligné récemment Brady Brewer, directeur marketing de Starbucks, « la technologie n’est qu’un outil, et peu importe si les clients ne savent pas qu’ils interagissent avec une blockchain ». Les possibilités de création de valeur ne manquent pas : renforcement de la cybersécurité, meilleur contrôle des données, personnalisation accrue, expérience communautaire et immersive, et bien d’autres encore.
Là encore, les exemples sont nombreux. On peut citer les NFT, ces certificats de propriété numérique inviolable basés sur la blockchain. En effet, les usages s’avèrent utiles dans la pratique : billets numériques dans le monde du football pour éviter les doubles billetteries, certificats de propriété dans le monde du luxe pour éviter la contrefaçon des produits, diplômes infalsifiables, etc.
Les NFT, qu’est-ce que c’est ?
Ces jetons servent à authentifier des images, ou n’importe quel objet sur Internet. Concrètement, il s’agit de smart contracts (de norme ERC-721 pour les NFT Ethereum) qui sont inscrits dans une blockchain. Ces contrats permettent d’identifier un fichier, ainsi que ses attributs, comme l’identité du propriétaire.
Certaines grandes marques, à l’instar de Starbucks ou Decathlon, ont par ailleurs marqué ce début d’année 2023 par leurs initiatives de NFT pour favoriser l’engagement et la fidélisation de leurs clients.
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Des nouvelles générations déjà dans un autre web
Les générations des utilisateurs du web se suivent et ne se ressemblent pas. Les générations Z (nées au tournant du millénaire) et Alpha (2010-2024) se sont en particulier massivement converties aux jeux vidéo.
DFC Intelligence, société d’étude stratégique spécialisée dans les jeux vidéo, estime à plus de 3,2 milliards le nombre de joueurs dans le monde, soit un peu plus de 40 % de la population mondiale. Et, selon une étude du Cabinet Newzoo de 2022, 90 % des jeunes des générations Z et Alpha seraient engagés sur du contenu en rapport avec les jeux vidéo. Selon la même source, 74 % des interrogés utilisent le jeu vidéo pour se connecter à d’autres passionnés.
Et, les audiences des communautés de type Discord ou Roblox ne cessent d’augmenter. Pour ces joueurs, les univers immersifs 3D font partie de leur quotidien. Nul besoin d’attendre les métavers tels que Sandbox ou Horizon Worlds de Meta pour connaître l’engouement de la réalité virtuelle. Roblox, qui compte, au quatrième trimestre 2022, 58,8 millions d’utilisateurs journaliers actifs en moyenne, offre déjà aux marques la possibilité de créer des plateformes immersives brandées. À l’image de H&M, tout nouveau venu sur Roblox avec H&M Loooptopia qui propose aux joueurs de créer des vêtements et des garde-robes virtuels pour leurs avatars, en jouant sur le choix des tissus et des motifs.
IA générative, un point de rupture
Nul doute que l’IA et les IA génératives produisant texte, image et vidéo accéléreront l’émergence d’un nouveau web. Les intégrations de solutions de ce type sont déjà nombreuses. Proposé par une société israélienne spécialisée en développement d’IA générative créée en 2017, le service D-ID met par exemple en place des avatars pour assurer le service client des entreprises. Un service qui va devenir relativement commun. Les solutions sont simples, efficaces et à portée de bourse, même pour les TPE-PME. On peut citer également les chatbots à base d’IA. Ils vont révolutionner à court terme la relation client et le self-care. Des avatars spécialisés seront désormais à même de répondre à vos questions. Ils s’appellent Mya dans le monde du recrutement ou Louis et Lucie chez Air France, chatbots destinées aux demandes clients liées aux bagages.
Les entreprises face au défi du marketing 3.0
Pour les entreprises, repenser les approches marketing s’impose. La bascule en cours, à l’image de la gigantesque révolution imposée par l’IA dans les modes de travail, est radicale. Nous entrons dans une nouvelle ère du web dont il convient de prendre la mesure. « La sortie du web 2.0 est acquise, déclare Maxime Labiere, responsable métavers au sein du groupe MK2 Cinéma, l’un des acteurs majeurs de l’industrie cinématographique en France. « C’est un nouvel état d’esprit à développer. Nous entrons dans un web structuré autour de trois notions clés : l’identité, la communauté et la propriété. Les entreprises doivent repenser leurs propositions autour de ces trois éléments. »
Première phase — Web 1.0 : Le web du contenu
- Un web de milliards de pages web statiques (texte, image) auquel on accède via les moteurs de recherche et annuaires. Une hégémonie de Google créant une dépendance extrême tant pour les internautes que pour les entreprises.
- La publicité comme mode de financement.
Deuxième phase — Web 2.0 : Le web de l’interaction
- Le web des médias sociaux et du mobile avec des plateformes communautaires puissantes (Facebook, YouTube, Twitter, etc.).
- Les utilisateurs peuvent contribuer au contenu en ligne. Explosion de l’image et de la vidéo.
- Les acteurs du GAFA exploitent massivement les données pour offrir des services personnalisés et des publicités ciblées.
Troisième phase — Web 3.0 : identité, communauté, propriété
- Une définition floue et sujette à débat.
- Une aspiration à la décentralisation (se réapproprier ses datas, se rendre indépendant des acteurs du GAFA et des intermédiaires institutionnels) portée par la technologie blockchain et ses solutions (cryptomonnaies, NFT, smart contract, applications décentralisées).
- L’émergence des métavers portés par la maturité des technologies 3D et la réalité virtuelle/augmentée.
- L’arrivée de l’IA et des IA génératives.
- Pour l’utilisateur : identité sécurisée, petite communauté d’intérêt monétisée par les cryptomonnaies et les NFT, propriété d’actifs virtuels.
Marketing 3.0 : comment s’y préparer
Comprendre la reconfiguration des attentes est essentiel, c’est cela se préparer au marketing 3.0. C’est se libérer de la vision technologique et penser à de nouveaux usages en phase avec les attentes d’internautes d’un genre nouveau qui ne se reconnaissent plus dans le vieux monde digital d’hier. C’est renouer avec la notion d’insight consommateur et comprendre en quoi l’on peut apporter, grâce aux multiples possibilités, des réponses innovantes.
Se préparer à ce nouveau web passera par des démarches systémiques des entreprises :
- Combler par la formation le déficit de connaissances sur les sujets du web 3.0, des métavers et des IA.
- Mettre en place des veilles partagées (technologiques, nouveaux usages).
- Identifier dans leurs secteurs les limites du web actuel et les attentes des internautes.
- S’assurer d’intégrer des jeunes dans leurs équipes avec des pratiques du web différentes.
- Imaginer de nouveaux modèles économiques respectant et rémunérant la propriété des utilisateurs sur leurs datas ou leurs productions.
- Innover et tester !
Alors, le web 3.0, mort ? Non, absolument pas. Nous entrons dans une nouvelle phase du web et il convient de comprendre que les technologies, les besoins, les générations évoluent et que la bonne définition du web 3.0, c’est de réaliser tout simplement que les recettes marketing gagnantes d’hier ne seront pas celles de demain.