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Management : peut-il restaurer l’attractivité de la fonction publique ?

Publié le 25 avril 2024
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[Interview]

La fonction publique souffre d’un manque d’attractivité. Outre des difficultés de recrutement, elle peine à fidéliser. « Beaucoup de managers s’en vont », souligne même Caroline Brethenoux, formatrice en management auprès des trois fonctions publiques. Pour elle, restaurer l’attractivité du secteur public passe par une nécessaire transformation managériale. Mais, par où commencer ? Quelles sont les attentes des agents et des managers ? Quels outils et méthodes peuvent permettre de raviver l’engagement des agents ? Voici son éclairage.

Fonction publique : le management collaboratif au service de l'attractivité

Quelles sont les raisons de ce manque d’attractivité de la fonction publique ? Le management y contribue-t-il ?

Un jeune sur deux n’a jamais travaillé dans la fonction publique et ne l’envisage pas. Parmi eux, 20 % en ont une mauvaise image. Ce sont des chiffres qui interpellent, relayés par le Conseil d’orientation des politiques de ressources humaines l’an passé. On sent donc une évolution des attentes des agents publics, notamment des plus jeunes. Il peut y avoir des griefs à l’égard du management. Mais les motifs de ce désamour sont variés, à l’image de la variété des métiers de la fonction publique.

Répartition de l'emploi dans les 3 fonctions publiques : fonction publique de l'Etat (45%), fonction publique territoriale (34%) et fonction publique hospitalière (21%).

D’abord, la logique de concours permettant d’accéder au statut de fonctionnaire et donc à un emploi garanti à vie ne fait plus recette.

En effet, de nombreux recrutements s’effectuent sur des postes de chef de mission ou de chef de projet. Mais, ces effectifs ne passent plus les concours : ils s’en vont à l’issue de leur contrat.

Par ailleurs, il existe une sorte d’effet pervers. Pour évoluer, il faut souvent accepter une mobilité géographique. Ainsi, s’il n’y a pas de poste ouvert dans leur collectivité, les fonctionnaires ne passent pas les concours pour monter en grade. Dans ce cas, rester dans la fonction publique rime avec déclassement.

Les difficultés de recrutement ou les départs prématurés peuvent également s’expliquer par la pénibilité de certains métiers. Sans compter l’épineuse question de la faiblesse des rémunérations, encore accentuée par le temps partiel.

Globalement, il faut faire la même chose avec moins de moyens. Voire faire plus, c’est-à-dire être plus réactif parce que les administrés sont plus exigeants qu’auparavant. C’est dans l’air du temps…

Quels sont les leviers d’action pour restaurer l’attractivité ? Quel est le rôle du management ?

Il va falloir redonner du sens aux notions de service public et d’intérêt général qui sont des valeurs fortes. Avec la marque employeur, le secteur public peut montrer en quoi chacun contribue et passer le message fort : « tous les métiers sont importants ». Mais la marque employeur ne peut redonner du sens qu’à condition de repenser la politique RH et d’agir sur la qualité de vie au travail.

Justement, quelles sont les particularités du management dans le secteur public ?

Il y a d’abord l’emploi à vie qui impacte fortement la culture managériale dans la fonction publique.

Ensuite, la lenteur. Le secteur public est moins agile.

Et surtout, la résistance au changement y est plus importante que dans le secteur privé. C’est un choc culturel. Concrètement, imaginez le jardinier à qui on a demandé pendant 20 ans de tondre l’herbe à ras. Désormais, il a pour consigne de laisser les herbes hautes (écologie, biodiversité…). Même scénario à la cantine scolaire avec l’introduction d’un menu végétarien par semaine… Alors, pour le dire simplement : les agents ont besoin d’accompagnement face aux transformations de leurs métiers, souvent liées aux transformations de la société. Cela doit se passer au plus près du terrain avec le manager d’équipe. Mais lui-même peut aussi avoir besoin d’un accompagnement.

Face à ces particularités, la transformation du management ne peut passer que par une démarche d’amélioration continue. C’est d’ailleurs l’impulsion donnée par l’État avec le programme « Fonction publique + ». Ce programme découle de la grande consultation menée à l’été 2023 auprès des agents de la fonction publique. Plus de 110 253 agents ont saisi cette occasion de s’exprimer (1 sur 3 appartenait à la catégorie B). L’un des 6 engagements de ce programme c’est de « faire évoluer les pratiques managériales afin de bâtir une relation de confiance, de responsabilité et redonner du sens aux missions des agents. »

Du côté des agents, quelle est l’attente principale à l’égard du management ?

Globalement, les agents souhaitent travailler plus en mode projet. Ils aspirent au télétravail. Ils attendent également un effort de communication de la part des managers. Il s’agit en particulier de donner de la visibilité aux projets menés par les équipes, de mettre en lumière les réussites d’un service, voire les réussites individuelles. Autrement dit : il faut que les managers donnent des marques de reconnaissance et surtout le faire savoir largement.

Enfin, ils sont confrontés à une difficulté supplémentaire : la vacance des postes de managers. Par exemple, dans un conseil départemental, on a parfois 7 à 9 mois de vacance sur les postes de managers A et A+. C’est très courant sur les postes en finances publiques. Les gens viennent et repartent assez vite. Ce n’est pas motivant pour les équipes.

Et du côté des managers, quelles sont les préoccupations ?

Une des préoccupations principales pour les managers est le reporting. Comment contrôler le travail des collaborateurs, quand ceux-ci ou eux-mêmes sont en télétravail deux à trois jours par semaine ? Comment éviter que les équipes se sentent « fliquées » ? Éventuellement, comment sanctionner ?

En effet, quantifier et tracer ne faisait pas partie de la culture du secteur public. Aujourd’hui, il faut rationaliser. Pour schématiser : ce qui était important avant, c’était de faire du bon travail. Ce qui est important maintenant, c’est de le faire dans les temps, voire dans l’urgence. Il devient donc impératif que le manager sache définir les priorités. Dans ce nouveau contexte, les réunions doivent aussi être plus courtes. On recherche l’efficacité. Par exemple : on privilégiera un relevé de décisions, document synthétique, plutôt qu’un compte rendu exhaustif de 15 pages.

Deuxième problématique : comment accompagner les nouveaux arrivants ? Souvent, les nouveaux agents ne bénéficient pas du télétravail pendant les 6 premiers mois. Le manager est présent deux jours par semaine et le reste du service est quasiment vide les lundis, mercredi et vendredi.

Troisième problématique : adopter la posture du manager. Si on leur reproche parfois un manque de courage managérial, ils manquent surtout de formation. Ce n’est pas simple de passer de collègue à chef.

Quels sont les outils, les méthodes et les bonnes pratiques pour transformer le management ?

Pour aller vers un changement des pratiques durable et opérationnel, les managers doivent tout d’abord passer d’une logique de moyen à une logique de résultat. Pour cela, ils doivent :

  • mettre en place des outils de pilotage et d’évaluation plus performants ;
  • développer le management visuel ;
  • s’acculturer à la data (qualité de la donnée, moyens/résultats, attendus/impacts).

Ensuite, ils gagneront à manager sur un mode plus horizontal, en favorisant le mode projet. Ils devront également adapter leur management au mode hybride. Pour cela, il va être indispensable de prendre en main les outils de travail collaboratifs. À ce niveau-là, Teams fait l’unanimité. De même que Trello pour la conduite de projet. Il n’existe pas de contrainte pour le choix des outils, mais du coup pas beaucoup d’harmonisation. La multiplication des outils peut poser des problèmes aux agents de longue date. D’où un besoin de formation.

Une autre piste, c’est de s’orienter vers un management de coopération. Cela passe notamment par :

  • la révision des essentiels (réunion, gestion des conflits, communication, délégation…)
  • une relation « micro » plus individualisée
  • l’emploi des méthodes d’intelligence collective
  • les échanges entre pairs (co-développement)
  • le retour d’expérience
  • le coaching
  • l’inclusion de l’ensemble des parties prenantes (design thinking, Hackaton)
  • un management bienveillant

Enfin, l’institution elle-même ou les différents échelons hiérarchiques doivent redonner de la légitimité aux managers de proximité. Cela veut d’abord dire mieux les accompagner, car ils reçoivent parfois des injonctions contradictoires. Cela signifie aussi mieux les former pour leur permettre de s’affirmer dans leur posture de manager.

Plusieurs priorités de formation pour les cadres de catégorie B :

  • les outils de suivi et de planification
  • la posture de manager et l’affirmation de soi (assertivité)
  • la communication interpersonnelle
  • la communication transverse

Comment les agents et les managers accueillent-ils la formation ?

Face à un turn-over important, les nouveaux agents ne sont plus formés sur le terrain par leurs collègues. Cette tradition de transmission, essentiellement orale, a vécu.

Aujourd’hui, le tutorat et le mentorat pourraient permettre de retrouver cette dynamique de transmission, essentielle à la cohésion. On pourrait même envisager de recourir au reverse mentoring : les nouveaux agents forment leurs ainés.

La technicisation des métiers, surtout dans la fonction publique territoriale, nécessite de renforcer la formation aux évolutions numériques. La situation est contrastée entre les organisations à la pointe, déjà acculturées au numérique, voire à l’IA, et celles qui ont pris du retard. On observe ainsi une différence entre la fonction publique de l’État et la territoriale. De même, un fossé s’est creusé entre les grandes métropoles et les petites communes.

Mais la bonne nouvelle, c’est que l’ensemble des agents accueillent favorablement l’offre de formation.

Aujourd’hui, tous se forment : de la catégorie C à la catégorie A

L’idéal, c’est d’avoir une politique volontariste avec un véritable plan de formation en matière de management. C’est le plus souvent le cas dans les grandes structures qui disposent d’un service RH étoffé, voire d’un service de formation.

En dehors de ce cadre, et lorsque la demande de formation est une initiative de l’agent, il faudrait que le manager cadre mieux, voire identifie les formations indispensables. En quelque sorte, au manager de définir les priorités de formation pour l’agent, à l’agent de choisir sa formation dans ce périmètre.

Le rythme idéal ? Une formation au moins une fois par an.

Par ailleurs, les agents attendent une diversification des modes de formation.

En particulier :

  • la formation en situation de travail
  • les serious game

Ainsi, il n’est plus question de passer x journées de formation, 7 heures par jour, assis derrière une table. Les agents veulent être « acteurs » au cours de la formation. Ils recherchent aussi un aspect plus ludique.

Pour conclure, je dirais que la transformation managériale et l’effort de formation devraient permettre à la fonction publique d’affronter les nouveaux défis : écologie, intelligence artificielle, sécurisation des SI ou encore attirer des profils « numériques » au-delà du ministère de la Défense.

Notre expert

Caroline Brethenoux

Management, secteur public

Formatrice en management depuis 26 ans, notamment auprès des 3 fonctions publiques, elle intervient sur les thèmes du management transverse et à distance […]

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