Composé de toutes les technologies tendance du moment, blockchain, cryptomonnaies, NFT et métavers, le Web3 se présente comme l’avenir d’Internet. Cependant, entre les risques de bulle financière et un modèle déjà à bout de souffle, les promesses placées en lui ne sont pas sûres de se concrétiser. Faut-il alors l’adopter ?
Le Web3 se présente comme l’avenir du web. Apparu dans les années 1980, le web premier du nom était constitué de sites statiques reliés entre eux par des hyperliens. L’information était alors essentiellement descendante. Popularisé dans la décennie 2000, le web 2.0 a apporté une couche d’interactivité. Sur les blogs et les médias sociaux, les internautes donnent leurs avis et partagent toute sorte de contenus multimédias. Le web 2.0 sonne aussi la montée en puissance des GAFA et leurs dérives en matière d’exploitation des données personnelles.
Théorisé par Gavin Wood, cofondateur de la cryptomonnaie Ethereum, le Web3 vise à réparer les excès du web 2.0, en redonnant aux individus le contrôle de leurs données. Cet informaticien britannique a exposé sa philosophie, dès 2014, dans un billet de blog. Il envisage le Web3 comme un Internet décentralisé où les plateformes ne sont plus détenues par des opérateurs privés, mais gérées par des communautés d’utilisateurs, œuvrant pour l’intérêt général.
Un Internet décentralisé et autogéré
Pour construire cet Internet décentralisé et autogéré, le Web3 réunit toutes les technologies clés du moment. On retrouve, bien sûr, la blockchain, ce registre infalsifiable qui permet de valider des transactions en temps réel, de façon sécurisée et sans tiers de confiance, mais aussi les cryptomonnaies et les NFT (jetons non fongibles). En réunissant ces trois tendances, le Web3 se propose de créer un environnement de confiance.
Émises dans une architecture distribuée reposant sur une multitude de nœuds, toutes les décisions et opérations sont transparentes et auditables par l’ensemble des utilisateurs dans la blockchain. Cette approche se propose de désintermédier des secteurs d’activité, à commencer par le secteur bancaire et ses établissements traditionnels. Au-delà des cryptomonnaies, qui viennent concurrencer les devises officielles, la DeFi (Decentralized finance) ou finance décentralisée propose aux citoyens de gérer leur épargne, de demander un crédit ou d’investir en Bourse sans recourir aux intermédiaires habituels.
Enfin, brique ultime du Web3, le métavers rassemble les différents éléments évoqués. Dans cet univers immersif en 3D, les utilisateurs représentés par des avatars peuvent, à l’aide de cryptomonnaies ou de NFT, acheter des parcelles de terrain, des biens ou des services virtuels. Des marques de luxe (LVMH, Balenciaga…), de prêt-à-porter (Nike, Zara…), de la grande distribution (Carrefour) et même des banques (JP Morgan, Fidelity…) ont déjà investi les plateformes métavers The Sandbox, Decentraland ou Roblox.
Au moins une heure par jour dans le métavers en 2026
Ces mondes virtuels qui ressemblent, pour l’heure, aux jeux vidéo en ligne tels que League of Legends ou Fortnite, sont appelés à succéder aux réseaux sociaux actuels. Le groupe Facebook, rebaptisé non sans raison Meta, n’aurait pas déjà dépensé quinze milliards de dollars dans la construction de son métavers, Horizon Worlds, sans raison. Selon le cabinet d’études Gartner, une personne sur quatre passera, d’ici à 2026, au moins une heure par jour dans le métavers pour jouer, discuter, travailler, faire des achats ou apprendre.
Les cas d’usage en entreprise sont également nombreux. Le métavers devrait tout d’abord bouleverser l’organisation du travail. Depuis un bureau virtuel, il sera possible de réaliser des entretiens d’embauche, d’embarquer le candidat retenu au sein d’un parcours d’intégration (onboarding) 100 % immersif, puis de le former à distance. L’entreprise pourra aussi organiser sur sa parcelle des événements et des séminaires. Dans le domaine du collaboratif, le métavers proposera une expérience utilisateur autrement plus engageante que les sessions de visioconférence avec Zoom, Microsoft Teams ou Google Meet.
Des secteurs d’activité pourraient voir leur modèle économique revisité. Les professionnels de l’immobilier proposent déjà à leurs clients lointains de visiter un bien en chaussant un casque de réalité virtuelle. Dans le domaine de tourisme, des voyageurs pourront arpenter leur future destination avant de s’y rendre physiquement. D’autres cas d’usage se dessinent dans les domaines de la maintenance, le métavers permettant à un opérateur de répéter à l’envi les gestes à accomplir sans qu’il n’y ait d’incidence sur l’équipement à maintenir. Les acteurs du BTP et de l’industrie sont, eux, déjà rodés au concept de jumeau numérique. Ce double virtuel d’un bâtiment ou d’une usine permet d’optimiser sa conception puis son exploitation.
Une nouvelle bulle Internet ?
Le Web3 tiendra-t-il les folles promesses placées en lui ? Comme tout phénomène de mode, il n’est pas à l’abri d’une bulle boursière comme l’a connue le web 2.0 à ses débuts. Ces derniers mois, les études surenchérissent pour évaluer le potentiel du métavers. En juin, le cabinet McKinsey chiffrait son potentiel de création de valeur à 5 000 milliards de dollars à l’horizon 2030. Un mois plus tôt, un autre cabinet, Analysis Group tablait l’apport à “seulement” 3 000 milliards de dollars en 2031.
Mais, pour l’heure, les métavers n’attirent pas les foules. Selon le Wall Street Journal, les chiffres de fréquentation de l’univers virtuel développé par Meta seraient largement en deçà de ses prévisions. De ce côté-ci de l’Atlantique, le journal Les Échos titrait récemment : « Le métavers peut-il passer l’hiver ? ». Au-delà de l’accueil frileux des internautes pour les univers immersifs, les investisseurs commencent à se détourner des start-up ou des acteurs spécialisés. Début décembre, le cours de l’action de Meta avait perdu 65 % de sa valeur en un an.
Les cryptomonnaies en berne
Les autres sous-jacents du Web3 traversent également une mauvaise passe. Le Bitcoin et, à sa suite, toutes les autres cryptomonnaies comme Ethereum, Dogecoin ou Solana ont dévissé en un an. La récente chute de la place de marché FTX a ébranlé la confiance des plus sûrs soutiens des “cryptos”. La folie spéculative autour des NFT semble aussi décélérer. Selon le cabinet spécialisé NonFungible, qui analyse en temps réel les transactions d’actifs décentralisés sur la blockchain Ethereum, les volumes échangés en dollars pour obtenir ces certificats de propriétés d’objets numériques (photos, dessins, vidéos) ont chuté de 75 % entre le deuxième et le troisième trimestre 2022.
Le Web3, nouveau terrain de chasses des hackers
Par la valeur qu’ils représentent, les cryptomonnaies et les NFT sont, par ailleurs, devenus le nouveau terrain de jeu des hackers. Usurpation d’identité, phishing, typosquattage (création de faux sites ressemblant aux sites légitimes), contrefaçon… la liste des menaces qui pèsent sur les détenteurs de NFT est longue comme le détaille dans un billet de blog l’entreprise spécialisée en cybersécurité Tehtris.
Des problèmes de modération…
Véritable far west juridique, le métavers pose, lui, d’autres problèmes en matière de propriété intellectuelle ou de régulation. Les éditeurs des plateformes doivent non seulement modérer en temps réel les échanges textuels et audio des utilisateurs, mais aussi les comportements de leurs avatars. Des comportements agressifs, racistes ou sexistes sont régulièrement signalés.
… et de confidentialité des données
Un autre problème concerne la confidentialité des données. En déambulant dans le métavers, un utilisateur laisse un grand nombre de données personnelles derrière lui, sans qu’il en ait toujours conscience. Au regard du RGPD, se pose la question du recueil du consentement et de la finalité du traitement de ces informations sensibles. Faut-il dès lors un cadre réglementaire spécifique ? En février, la commissaire européenne Margrethe Vestager disait l’envisager. Une manière de faire rentrer le Web3 dans le rang, bien loin de la version libertaire de ses débuts.
Comme tout concept émergent, l’adoption du Web3 se fera progressivement, par paliers. Sur la fameuse “hype cycle” du cabinet Gartner, il était en passe d’atteindre, en juillet dernier, le pic des « attentes démesurées » pour se confronter à la réalité des faits avant d’espérer atteindre le plateau de productivité. Si la prudence est donc de mise, les promesses avancées par le Web3 sont telles qu’il convient d’être en veille active sur le sujet.