Parmi les nombreux défis de taille qu’ont à relever les entreprises aujourd’hui, la lutte contre les discriminations est un enjeu majeur. C’est pourquoi les entreprises doivent s’emparer de la question de l’accessibilité numérique, avec l’appui de normes et de référentiels faits pour les accompagner. Entre responsabilité et enjeux de popularité, elles doivent adopter les bonnes pratiques pour remporter le défi de l’accessibilité et, par conséquent, celui de la non-discrimination. Sébastien Chalmé et Tania Béguin, experts et formateurs en accessibilité numérique, font le point.
Internet est, en soi, une promesse d’accessibilité : celle de pouvoir obtenir des informations à tout moment, en tout lieu et avec tout type de support. Mais diffuser des contenus sur le web ne suffit pas à les rendre accessibles à tous. Certains contenus éditoriaux et multimédias proposés en ligne restent inaccessibles aux personnes en situation de handicap. Le plus souvent, ce manque d’accessibilité s’explique par la méconnaissance de règles simples.
L’accessibilité pour faire tomber des barrières
Le saviez-vous ?
(Re)découvrez le protocole TCP/IP, cette invention que vous utilisez tous les jours en naviguant sur le web. Le protocole garantit l’intégrité des données communiquées sur un réseau. Vinton Cerf le fonde avec d’autres en 1973. Atteint de surdité, il pense à une transmission de l’information par texte comme alternative au téléphone : ce sont les premiers courriels qui apparaissent. Puis le protocole est utilisé pour le web.
De nombreux autres exemples d’inventions pour l’accessibilité numérique existent : la reconnaissance vocale, la génération automatique de sous-titres… Autant d’inventions qui profitent à tous.
« Intégrer l’accessibilité permet de faire tomber des barrières architecturales, digitales et sociales à l’innovation. »
Pullin Graham, Design Meets Disability, MIT Press, 2011
[Se former]
Pour découvrir la démarche d’accessibilité numérique, consultez le programme de la formation Sensibilisation à l’accessibilité numérique, enjeux et réglementation.
[Verbatim]
« Cette formation m’a apporté de nouvelles connaissances en accessibilité numérique que je pourrai appliquer au quotidien dans le cadre de mon travail. »
Ophélie, UI/UX designer
Le référentiel RGAA : ce qu’il faut savoir de l’accessibilité
Pour accompagner les institutions publiques dans leur démarche d’accessibilité, la Dinum (Direction interministérielle du numérique) a créé en 2009 le Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA).
Continuellement amélioré (actuellement la version 4.1.2), c’est un outil indispensable pour les éditeurs de sites Internet, intranet, extranet, de progiciels ou encore d’applications mobiles. Le RGAA est une référence pour l’ensemble des acteurs, qu’ils soient soumis à ses obligations ou juste soucieux d’améliorer la qualité de leur produit. Il permet de déterminer si le produit dont on a la charge est non, partiellement ou totalement conforme aux normes internationales.
Que contient-il ?
Le RGAA comprend deux volets, l’un administratif et l’autre technique. On y trouve notamment :
- le rappel des obligations légales
- la liste des critères à appliquer, extraits des normes WCAG (à l’initiative du W3C) et la directive européenne EN 301 549 selon lesquelles une application web doit être perceptible, utilisable, compréhensible et robuste
- une méthodologie d’évaluation de ces critères, incluant plusieurs outils
- les modalités de publication des résultats de l’audit et de la politique d’accessibilité
Ainsi, l’accessibilité numérique n’est plus réservée aux institutions et administrations publiques. Le RGAA présente aux entreprises tout ce qu’elles doivent savoir afin de s’engager elles aussi contre la discrimination des personnes en situation de handicap.
L’accessibilité numérique : un enjeu majeur pour le secteur public et privé
L’accessibilité s’inscrit dans une démarche d’inclusivité qui englobe trois enjeux majeurs pour les entreprises.
Le premier fait écho au droit fondamental d’accès à l’information : les entreprises doivent s’assurer que leurs contenus puissent être perçus, utilisés et compris par tous.
Le deuxième est lié à l’audience, au sens commercial ou communicationnel. L’accessibilité augmente les performances. D’une part, en ciblant un public plus large. D’autre part, en améliorant l’expérience utilisateur, la robustesse du code (compatibilité avec différents supports) et indirectement le référencement naturel (visibilité dans les moteurs de recherche) grâce notamment aux contenus textuels alternatifs.
Enfin, le dernier est juridique : depuis la loi pour une République numérique de 2016, l’obligation d’accessibilité concerne de nombreuses entités et plus seulement les institutions publiques. Structures du secteur privé dotées d’une délégation de service public, personnes morales de droit privé à but non lucratif, sociétés atteignant un certain seuil de chiffre d’affaires (actuellement fixé à 250 millions d’euros annuels), toutes doivent aujourd’hui œuvrer pour l’accessibilité sous peine de sanctions administratives et financières.
Durant des années, seuls certains sites web étaient sanctionnables. Il s’agit de ceux qui omettaient d’afficher le niveau de conformité sur leur page d’accueil. En 2023, une ordonnance a durci ces obligations pour les sites publics. Cette ordonnance :
- réaffirme l’obligation d’accessibilité des sites web publics
- prévoit une sanction jusqu’à 50 000 euros
- désigne une « police de l’accessibilité » constituée notamment de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)
Combattre les idées reçues pour l’accessibilité numérique
Bien qu’il existe de plus en plus d’informations officielles sur la prise en compte de l’accessibilité numérique pour des produits numériques, plusieurs idées reçues circulent encore.
« Mon produit numérique n’intéresse pas les personnes en situation de handicap. » FAUX
Au contraire, le numérique est essentiel pour ce public. Le handicap n’est pas une caractéristique liée à une personne, mais le résultat d’un manque d’accessibilité du produit ou service qu’elle souhaite utiliser. Générer des produits tenant compte des spécificités de chacun et des différents contextes d’utilisation permet à tous de bénéficier des avantages liés au numérique.
Cela dit, le fait d’inclure tout contexte d’utilisateur augmente votre taux de fidélisation client et celui d’utilisation. Les utilisateurs vous remercieront en y revenant encore et encore pour bénéficier d’une expérience de qualité.
[Lire aussi]
Pour en savoir plus sur l’expérience utilisateur, consultez un de nos articles, l’UX designer, métier clé d’une expérience utilisateur réussie.
« Concevoir un site accessible limite la créativité. » FAUX
Adapter ne signifie pas dégrader. Il s’agit de concevoir et de développer les sites de manière inclusive, en anticipant sur des usages et des graphismes différents. C’est justement l’objectif du RGAA : aider les éditeurs à adapter leurs produits, sans les dénaturer. Certaines mesures d’accessibilité servent tout humain avec ou sans besoins spécifiques : aide à la saisie, contrastes moins fatigants pour les yeux, site plus robuste…
Enfin, tout processus de conception a justement besoin de contraintes. Serait-il raisonnable de s’y lancer sans connaître les spécificités des utilisateurs, ni les contraintes techniques et budgétaires ? Les normes d’accessibilité en font partie pour permettre à tous les utilisateurs de manipuler les produits numériques.
« L’accessibilité est un sujet technique et trop compliqué. » FAUX
Là aussi, le référentiel simplifie le travail en le mettant à la portée de tous. Pour que le produit numérique voie le jour, tous les acteurs du projet œuvrent à sa conception. Dès le cadrage jusqu’au déploiement, en passant par la recherche utilisateurs, le design de l’interface et la contribution éditoriale, les contraintes d’accessibilité sont explicitées et prises en compte dans toutes les phases du projet. Chaque métier s’y sensibilise pour être en mesure de les intégrer en équipe progressivement, de manière transversale. L’accessibilité est un sujet de tous.
Certes, cette démarche demande un investissement de départ (besoin de formation, d’organisation, de vérification…). Mais une fois mise en œuvre collectivement, l’effort diminue et se trouve compensé par l’amélioration des performances.
[Se former]
Pour mettre en œuvre la démarche d’accessibilité dans toutes les étapes de votre projet, consultez le programme de la formation L’accessibilité numérique dans un projet.
[Verbatim]
« Formation très complète, ponctuée de cas pratiques et d’exemples concrets issus du parcours professionnel de la formatrice. » Audrey, chef de projet digital
Responsabilités et obligations éditoriales
Vous avez pu constater l’effort collectif fourni dans la conception des sites accessibles tout au long du projet. L’ajout de contenus accessibles dans le site reste un enjeu important, à la charge des contributeurs éditoriaux.
Dans ce contexte, le RGAA accompagne la politique d’accessibilité en proposant des critères pour le contenu éditorial permettant d’atteindre le même objectif de conformité. Il est recommandé de mettre en place certains dispositifs :
- une charte éditoriale et graphique, commune entre collaborateurs, qui sert de référence en interne
- la formation des acteurs du projet, chacun à son niveau et sur sa spécialité, pour contribuer à l’accessibilité finale du produit
Intégrer les critères d’accessibilité à ses contenus éditoriaux
L’élaboration de contenus web passe par plusieurs étapes :
- d’abord, le cadrage (quels objectifs, quelles actions, quelle charte graphique et éditoriale, quel cahier des charges technique et fonctionnel…)
- ensuite, la préparation des contenus (respect de la charte, mise en place d’alternatives accessibles…)
- enfin, la publication (déploiement et contrôle de la qualité en sortie)
La responsabilité de l’équipe éditoriale est principalement liée à la préparation des contenus pour lesquels elle est garante des bonnes pratiques d’accessibilité. Si le site est un produit développé de manière indépendante, les aspects techniques sont pris en charge par les développeurs. S’il repose sur un CMS (content management system), celui-ci doit être conforme au référentiel ATAG du W3C et produire un code compatible avec l’accessibilité.
Le contenu cryptique
Certains critères RGAA ciblent tout particulièrement l’éditorial. En particulier, le référentiel évoque l’accessibilité des « contenus cryptiques ». De quoi s’agit-il ? Un contenu cryptique est un contenu ayant une signification cachée, que ce soit derrière une forme (émoticônes, art ASCII…) ou une tournure particulière (contresens, sarcasme…) que les technologies d’assistance retranscrivent de manière littérale, donc erronée.
Le contenu cryptique est ainsi inaccessible aux personnes qui ont une déficience visuelle ou intellectuelle, et plus généralement à toute personne utilisant un lecteur d’écran. Pour y remédier, le référentiel impose l’ajout d’une alternative textuelle permettant de décoder le contenu cryptique de façon pertinente, soit dans le code avec un attribut « title », soit dans une définition adjacente.
Savez-vous combien d’émojis circulent chaque jour sur Facebook ?
D’après les statistiques du World Emoji Day, plus de 700 millions d’émojis sont publiés au quotidien sur Facebook. L’émoji est un contenu cryptique omniprésent sur les réseaux sociaux. L’essentiel à retenir est de les utiliser avec parcimonie et sans en mettre plusieurs à la suite. Il est recommandé de les placer à la fin des phrases. L’émoji complète le contenu et ne remplace pas des mots, ni des chiffres.
Les spécificités éditoriales
Les règles d’accessibilité touchant le domaine éditorial concernent également la rédaction et les modalités de présentation. Trois conseils à retenir en particulier.
Miser sur la clarté
Éviter les doubles sens et les figures de style ambiguës, sauf à les expliciter clairement dans une version alternative. Les couleurs et contrastes doivent être suffisants pour faciliter la lecture, le RGAA définissant les valeurs seuils à respecter. L’information ne doit pas être communiquée uniquement par la couleur. Les cadres et les tableaux doivent être utilisés avec parcimonie, en facilitant leur exploration au moyen du lecteur d’écran.
Prévoir une alternative pour le contenu visuel (illustration, symbole, infographie…)
Avant tout, il est nécessaire de distinguer les images porteuses d’information des images décoratives. Les premières doivent comporter une alternative, à l’inverse des secondes.
Le contenu alternatif des images porteuses d’information pourra être véhiculé par l’attribut « alt » (images simples) ou une description (images complexes), tous deux vocalisés en lieu et place de l’image par le lecteur d’écran. Le lecteur d’écran vocalise tout ce que l’on met dans l’alternative. De ce fait, si le contenu textuel de la page double ce qu’il y a dans le visuel, il est souhaitable de remplir l’alternative uniquement avec les informations manquantes.
Structurer ses contenus
Il est impératif de bien hiérarchiser ses textes avec plusieurs niveaux de titres. L’ordre et la pertinence des titres sont essentiels. Privilégiez un alignement à gauche et non « justifié » du texte pour faciliter la lecture. Utilisez également les fonctionnalités de l’éditeur CMS ou les balises de code pour identifier les citations, les listes, les sauts de lignes, etc. afin que la structure soit préservée quel que soit le mode de consultation.
La charte éditoriale est un support générique qui rappelle ces règles à l’ensemble des contributeurs, y compris aux prestataires externes. Ceci, afin de maintenir l’accessibilité à long terme, au fil des publications.
Les spécificités multimédias
Dans le RGAA, les contenus multimédias regroupent les contenus vidéos, les contenus audios et les éléments animés comme les publicités ou les cartes interactives où l’on peut naviguer ou afficher dynamiquement des informations. Ils exigent des mesures particulières :
Prévoir des alternatives pour les sons et les visuels
Une transcription textuelle (résumé associé au contenu multimédia) permet d’accéder au contenu informatif indépendamment des flux audio/vidéo. Pour les vidéos, il est nécessaire de doubler les dialogues par des sous-titres de qualité. Par ailleurs, une audiodescription (piste audio secondaire fournissant des explications supplémentaires) peut aussi s’avérer utile pour les personnes ayant une déficience visuelle ou intellectuelle.
Offrir des contrôles utilisateur
Mettre en pause, afficher ou masquer les sous-titres, régler le volume sonore… l’utilisateur doit pouvoir adapter le flux multimédia à ses besoins.
Avec le lecteur d’écran, l’utilisateur accède au contenu textuel qui lui est vocalisé. Si le son d’un multimédia se déclenche automatiquement, il lui est difficile d’accéder au contenu textuel et aux éléments interactifs dans la même page.
Limiter les effets visuels gênants
Effets stroboscopiques, mouvements continus comme un carrousel ou une image animée en arrière-fond… Ces effets peuvent causer d’importantes gênes pour lire et naviguer. Ils peuvent même provoquer des troubles épileptiques ou vestibulaires.
Alors, mieux vaut les éviter. Si ce n’est pas possible, la présence d’une touche « Lecture/Pause » et un lancement des effets uniquement sur action de la touche sont le minimum requis pour redonner le contrôle à l’utilisateur.
La démarche d’accessibilité contribue donc à l’inclusion et à la lutte contre les discriminations. En outre, elle peut améliorer la perception des marques, augmenter les parts de marché et minimiser le risque légal. Plusieurs bénéfices business de l’accessibilité numérique sont listés par le W3C.
Quels que soient la démarche de la mise en conformité et le référentiel réglementaire utilisé, des questions demeurent :
- Qui va utiliser ces contenus ?
- Dans quel but ?
- Quel est le bon équilibre entre accessibilité, référencement naturel et écoconception ?
Ces trois domaines ont des bonnes pratiques communes et d’autres en contradiction.
Ces questions sont d’ordre stratégique et la réponse sera différente pour chaque projet. De quoi prolonger la démarche de mise en conformité, pour une expérience utilisateur vraiment optimale.