Le burn-out des professionnels de santé a des répercussions non seulement humaines, mais aussi sur l’organisation et la qualité des soins. Les managers jouent un rôle essentiel en matière de prévention. Marylène Exposito, spécialiste de la communication managériale, vous présente une série d’actions concrètes et adaptées à la réalité du terrain.
Le burn-out se manifeste par un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ». Telle est la définition retenue par la Haute Autorité de santé (HAS) dans sa fiche mémo de 2017. En France, le burn-out est également dénommé syndrome d’épuisement professionnel.
Si les causes du burn-out sont multiples, la charge de travail reste un facteur essentiel.
Le management tient un rôle primordial dans le domaine de la prévention. Il peut en effet intervenir sur les causes intrinsèques et extrinsèques de l’épuisement professionnel.
Mais comment faire concrètement ?
En partant du vécu des professionnels et en écoutant leur parole, il est possible de définir des actions managériales concrètes et adaptées à la réalité du terrain pour prévenir le burn-out. Je vous propose donc de découvrir le témoignage de Jeanne (le prénom a été changé), très représentatif des situations qui conduisent à l’épuisement professionnel.
Reconnaître les signes du burn-out
Jeanne est monitrice-éducatrice dans une maison d’accueil spécialisée (MAS), établissement médico-social qui propose un hébergement permanent aux adultes handicapés très dépendants. Cette MAS est adossée à un petit hôpital qui fait partie d’un plus grand groupe hospitalier (500 places). Elle y travaille depuis le début de sa carrière professionnelle, soit 17 ans. Les signes d’épuisement professionnel ont duré trois ans avant que le diagnostic ne soit posé.
Comment Jeanne, passionnée par son travail, a-t-elle pu sombrer dans l’enfer du burn-out ?
Christina Maslach, psychologue américaine spécialisée dans les domaines de l’épuisement et du stress au travail, a décrit les processus du burn-out. À savoir : la dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions.
1/ L’épuisement émotionnel
2/ Le cynisme vis-à-vis du travail (dépersonnalisation, déshumanisation, indifférence)
3/ La diminution de l’accomplissement personnel au travail ou la réduction de l’efficacité professionnelle
C’est ce qu’exprime Jeanne : « Je ne dormais plus, j’étais détachée, déconnectée de mes émotions avec impossibilité de les exprimer. Je ressentais aussi de l’agressivité et je me sentais épuisée. J’étais à fleur de peau, exaspérée et je réagissais de manière excessive. Je n’avais plus envie de rien. J’ai arrêté les activités que je pratiquais avec plaisir telles que la danse, les sorties, le sport, les liens amicaux et sociaux. J’ai perdu 7 kg en un mois et demi. Je souffrais : mal de dos, tendinites, mal au ventre… Ma respiration était si brève que je suivais des séances de kinésithérapie. »
Le déni du burn-out : un risque supplémentaire
Pour le soignant dévoué à la souffrance de l’autre, l’oubli de soi constitue un facteur de risque supplémentaire. Il y a une non-conscience, voire un déni du trouble, et une volonté de répondre à l’exigence professionnelle. « Je n’arrivais pas à mettre des mots sur mes ressentis, explique Jeanne, après coup. Je ne suis pas allée consulter mon médecin traitant. J’avais peur qu’il me prescrive des somnifères. J’avais peur que les somnifères m’empêchent de me réveiller pour aller au travail. Alors je suis allée consulter un médecin acupuncteur. Il m’a immédiatement prescrit un arrêt de travail pour motif de burn-out. C’est ce qui m’a sauvée. »
Prévention du burn-out : quel rôle pour les managers ?
L’histoire professionnelle de Jeanne révèle des facteurs catalyseurs et avant-coureurs du burn-out. Je les observe fréquemment au cours des formations que j’anime, par le biais de témoignages et d’études de cas. Il ne s’agit pas d’un cas isolé mais bien d’un cas d’école qui permet d’élaborer des propositions d’actions managériales, non exhaustives, bien sûr.
Accompagner le changement
Jeanne a vécu plusieurs changements en termes d’organisation du travail, d’équipe et de collègues, de méthodes de travail, de valeurs et de rapport au travail. Autant de sources de stress…
- Actions managériales conseillées :
1/ Accompagner le changement en aidant les équipes à identifier ce que l’on garde, ce que l’on perd, ce que l’on gagne, ce que l’on crée.
2/ Communiquer sur le changement et lui donner du sens en impliquant les équipes. La communication doit être personnalisée et adaptée aux profils individuels et collectifs.
Identifier des valeurs professionnelles, veiller à leur respect
« Avec ma nouvelle équipe, cela n’avançait pas : je devais faire le travail à sa place. Elle manquait de conscience professionnelle. Il n’y avait plus de solidarité. »
- Actions managériales conseillées :
1/ Édifier un socle des valeurs indispensables pour travailler et les faire vivre dans le quotidien professionnel. Par exemple : la valeur « solidarité » est incontournable dans le secteur médico-social et celui de la santé. Sans elle, comment faire face à des pics d’activité ou à des absences de personnel ?
2/ Faire vivre ces valeurs dans le quotidien professionnel en s’appuyant sur les bonnes pratiques de communication. Par exemple : à la valeur « respect » correspond une attitude d’écoute active et bienveillante.
Libérer la parole
« Nous n’avions plus de moments d’échanges informels pour parler des résidents. »
La motivation des professionnels est orientée vers le patient ou le résident. Ils ont besoin d’échanger et d’analyser leurs pratiques. Je l’observe également à l’occasion des formations. En effet, lorsque les participants évaluent la formation qu’ils ont suivie, ils soulignent très souvent le plaisir et l’utilité des échanges de pratiques.
- Action managériale conseillée :
Offrir un espace de parole hebdomadaire, de courte durée, pour favoriser l’expression libre, l’échange et l’analyse des pratiques.
Mettre en place une organisation du travail adaptée aux besoins des équipes
Pour Jeanne, la nouvelle organisation a généré une surcharge de travail et un sentiment de solitude. « On était seule par unité. La distance entre les bâtiments rendait plus compliqué l’appel à l’aide en cas de problème. Le temps de marche augmentait la fatigue et réduisait le temps disponible pour le travail. »
La charge de travail est une des causes essentielles du burn-out. Comment compenser une charge de travail trop importante ? Comment réduire la fatigue, le sentiment de solitude et d’insécurité ?
- Actions managériales conseillées :
1/ Repérer ces risques et mettre en place une organisation adaptée à son service pour les réduire et en prévenir les conséquences. Le management doit redoubler d’attention pour protéger les professionnels de ces dangers.
2/ Évaluer les besoins fondamentaux des membres de l’équipe avec la pyramide de Maslow ou pyramide des besoins.
Aider les équipes à prendre du recul
L’image du soignant infaillible est presque une injonction implicite à l’abnégation. Elle pousse au dépassement de soi jusqu’à sombrer dans l’épuisement. « La prise en charge des résidents qui vieillissent, et donc sont moins autonomes, devient plus lourde pour le personnel », souligne encore Jeanne. Pourtant, passionnée par son travail et animée par son exigence professionnelle, elle sacrifie ses propres besoins au bénéfice de ceux des patients.
- Action managériale conseillée :
Les formations en développement personnel et en gestion du stress peuvent aider les professionnels à prendre du recul face à des prises en charge complexes et lourdes. Elles auront un impact qualitatif sur leur travail.
Communiquer de façon positive
Jeanne a vécu un glissement de tâches. Monitrice-éducatrice sans fiche de poste, elle a exercé au fil des années, et sous la pression hospitalière, des missions d’aide-soignante. Au final, elle a été ostensiblement dépossédée de son activité d’animation qui était le moteur de sa motivation. Une activité d’animation qui nourrissait aussi ses besoins d’autonomie et de reconnaissance.
Priver l’individu de ce qu’il aime, de ce qui donne un sens à sa mission, c’est l’amputer d’une partie de lui-même.
Connaître et reconnaître les aspirations et les talents des membres de son équipe, c’est développer l’excellence et renforcer le bien-être au travail.
- Action managériale conseillée :
La communication managériale peut s’inspirer de l’attitude intérieure positive (AIP). Reconnaître et complimenter l’individu et l’équipe sur la qualité du travail accompli est générateur de motivation et d’énergie positive. Autrement dit, s’appuyer sur le positif stimule le progrès. Cette attitude positive, pas toujours adoptée naturellement, s’exerce au cours des formations de communication managériale.
Pour résumer, prévenir le burn-out c’est :
- agir sur la communication dans l’équipe et avec l’équipe ;
- conduire et accompagner le changement suffisamment tôt ;
- faire vivre les valeurs fondamentales et nourricières du travail collectif ;
- faire en sorte que l’organisation du travail tienne compte du bien-être et de la motivation des individus dans une équipe ;
- adopter un regard positif sur les événements et les personnes ;
- prendre soin de soi en tant que manager.
Si dans une équipe de soins ou médico-sociale, l’humanité, telle la source, s’assèche, la fontaine qui abreuve les patients ou les résidents se tarit.