[Interview]
Inscrire sa politique d’achats responsables dans la durée présente d’indéniables avantages. Mais c’est aussi un parcours de longue haleine. Quels sont les obstacles les plus fréquents ? Et comment les dépasser ? Yann Le Coz, spécialiste des achats responsables, répond aux questions d’ORSYS.
S’engager durablement dans une démarche d’achats responsables : quel bénéfice pour l’entreprise ?
Aujourd’hui, les banques scrutent tout particulièrement la durabilité des entreprises clientes. Elles exigent des preuves attestant de leur stratégie en matière de RSE (responsabilité sociale des entreprises). Il peut s’agir de la notation EcoVadis, du label LUCIE ou B-Corp pour la RSE ou encore du Label RFAR (relations fournisseurs et achats responsables) pour une démarche durable d’achats responsables.
Détenir le Label RFAR prouve un réel engagement en matière d’achats responsables mais aussi de RSE. C’est vraiment différenciant, en particulier quand l’entreprise répond à des appels d’offres.
Cela peut aussi s’intégrer dans une stratégie plus large. En effet, obtenir le label RFAR permet également d’anticiper le relèvement des seuils d’exigences dans la notation EcoVadis. Autrement dit, cela peut permettre de conserver le niveau bronze, argent, gold ou platinium. EcoVadis évalue plus de 100 000 entreprises dans le monde. C’est également devenu un standard dans les appels d’offres.
Par où commencer ?
Tout commence par la signature de la Charte « relations fournisseurs et achats responsables ». C’est la première étape engageante d’un parcours de mise en œuvre d’une démarche d’achat responsable.
Aujourd’hui, environ 2 400 entreprises sont en effet signataires de la charte. En revanche, seules quelques 90 entreprises ont décroché le fameux label RFAR. Il s’agit aussi bien de grands groupes que de PME ou d’entités publiques.
En signant la charte RFAR, l’entreprise prend 10 engagements mais aussi désigne un médiateur interne ainsi qu’un correspondant PME, définit un plan d’action pour progresser en matière d’achats responsables, cartographie les risques achats, respecte les délais légaux de règlement des fournisseurs…
Cela relève d’ailleurs du 1er engagement prévu par la charte : « Assurer une relation financière responsable vis-à-vis des fournisseurs ». Et à raison ! Selon le Médiateur des entreprises, la première cause de défaillance des PME en France est un manque de trésorerie dû aux retards de paiement de leurs clients. Il incombe donc à un acheteur responsable de veiller particulièrement au respect des délais de règlement de ses fournisseurs.
Comment les entreprises se projettent-elles dans une relation financière responsable vis-à-vis des fournisseurs ?
Concrètement, l’entreprise doit mesurer les délais de paiement moyens selon les catégories d’achat. Par exemple, 30 jours nets pour le transport ou l’intérim et 60 jours nets pour les fournitures. En cas de dépassement, une analyse des causes des retards de paiement permettra de mettre en place un plan d’action pour garantir, dans le temps, le respect des délais de règlement.
Citons le cas de deux grandes entreprises. L’une, dans le secteur de la banque et des assurances. L’autre, dans le secteur de l’énergie.
Les deux directeurs des achats partent du même constat. « J’ai besoin de tous mes fournisseurs et notamment les plus modestes d’entre eux. Or, ceux-ci connaissent un contexte fragile (post-Covid). En particulier, les TPE-PME qui ont plus de risques de se retrouver en défaillance en cas de mauvais payeurs. »
Ils poursuivent leur raisonnement. « En tant qu’acheteur responsable, je me dois de soutenir ce tissu économique en payant mes fournisseurs dans les temps. Voire, en ces temps de crise, en payant en avance ».
D’une part, on retrouve le concept du « client préféré de ses fournisseurs ». En période de pénurie, le donneur d’ordres cherche ainsi à s’assurer d’être mieux « servi » par ses fournisseurs reconnaissants, que ses concurrents moins bons payeurs.
D’autre part, c’est aussi du pragmatisme. En effet, quand il y a un réseau à entretenir (ferré, électrique, hydraulique…), une entreprise doit s’assurer qu’il existera toujours des acteurs économiques locaux pour assurer les prestations sur chaque territoire. Mais aussi, suffisamment d’acteurs pour permettre la mise en concurrence (cf. code de la commande publique).
Quelles sont les principales difficultés quand on se lance dans une démarche d’achats responsables ?
D’abord, les entreprises doivent réaliser que se lancer dans cette démarche d’achats responsables nécessite un réel engagement de leur gouvernance. Et surtout un engagement dans la durée.
Souvent, elles ne savent pas par où commencer. Et se demandent : « Que va-t-on mettre dans cette politique d’achats ? ». Tout l’enjeu sera de l’adapter à la vision et à la gouvernance de l’entreprise (stratégie RSE).
Les entreprises peuvent également rencontrer des obstacles. En particulier, il leur faudra toujours s’assurer que la vision stratégique redescend bien jusqu’au terrain. Ce qui implique une bonne communication. Et ce, quelle que soit la dimension de l’entreprise.
« Aller chercher le label » est une démarche ambitieuse. Un accompagnement par une société spécialisée permet d’identifier les obstacles et d’apporter des solutions. Il débute par un diagnostic sur les pratiques d’achats actuelles de l’entreprise au regard des exigences du label. Il faut d’abord identifier les écarts, puis définir un plan d’action pour progresser et, enfin, atteindre la maturité. C’est-à-dire, se mettre en conformité avec le référentiel du label.
Certaines entreprises vont rencontrer des difficultés plus spécifiques. Par exemple, pour une PME, il s’agira souvent de mieux structurer sa fonction achat. C’est d’ailleurs le cas d’une PME que j’ai accompagnée.
Concrètement, quels sont les obstacles rencontrés par cette PME ? Quelles sont les pistes de solution ?
L’objectif de cette PME est d’obtenir le label RFAR, car la démarche d’achats responsables est au cœur de son ADN. Mais cette vision de l’entreprise, où plus précisément de son dirigeant, est-elle bien alignée avec celle des différents métiers ? C’est le premier point dont il faut s’assurer.
Par ailleurs, la démarche RSE relève de la direction qualité, en l’absence de direction dédiée. De même, l’entreprise ne dispose pas d’un service ou département des achats spécifiquement identifié. La fonction achat repose sur les métiers : chefs de projets, production… Il faut donc structurer la fonction achat dans l’entreprise. La décision ? Recruter un responsable des achats pour porter la démarche et garantir sa performance dans le temps.
Ceci fait, et une fois la communication sur les actions « RSE et achats responsables » bien redescendue sur le terrain (la production, l’usine…), d’autres obstacles « remontent ». On entend ainsi : « je n’ai personne pour le faire » ou encore « je n’ai pas les compétences ». Dans ce cas, la solution réside dans des formations aux achats responsables.
Quels sont les principaux apports des formations aux achats responsables ?
Les participants découvrent que la démarche d’achats responsables c’est d’abord une question de gouvernance de l’entreprise. En effet, c’est le premier point abordé en formation.
Le formateur invite les acheteurs à s’interroger. Ont-ils bien les informations nécessaires et suffisantes sur la politique RSE de leur entreprise ? Si la réponse est négative, la formation les aide à devenir force de proposition et à s’approprier les enjeux RSE des organisations. Autrement dit, prendre conscience des engagements de leur entreprise et travailler sur leur propre rôle dans la déclinaison de cette politique. Y compris en remontant leurs questions, leurs besoins et leurs contraintes au service RSE.
L’idéal est d’associer toutes les parties prenantes lors des formations aux achats responsables. On imagine ainsi le responsable RSE y participer aux côtés des acheteurs. Cela permet d’exprimer les enjeux et les objectifs à atteindre (mieux répondre aux appels d’offres clients en sollicitant la fonction achat) tout en envisageant tous ensemble les pistes d’action/de solution.
Par ailleurs, lors d’une formation interentreprises, les acheteurs peuvent échanger entre eux sur les problématiques qu’ils rencontrent. Ils peuvent bénéficier d’un retour d’expérience entre pairs.
Combien de temps et de ressources faut-il consacrer à cette démarche pour réussir ?
Pour une PME de 250 à 300 personnes, comptez une année environ entre la signature de la charte et l’obtention du label. Le chef de projet interne, souvent le responsable des achats, y consacrera une journée par semaine.
Que se passe-t-il après l’obtention du label RFAR ?
Le label est valable 3 ans.
Chaque année, l’entreprise reçoit la visite d’un auditeur qui examine la progression par rapport à l’année précédente. Il y a donc l’audit initial, l’audit de suivi et l’audit de renouvellement. On va notamment s’intéresser aux KPI que l’entreprise a définis pour mesurer l’atteinte de ses objectifs.
Il faut bien retenir qu’il s’agit d’une démarche de progrès. L’entreprise doit compter 2 à 3 ans pour atteindre une belle maturité.
Cela a-t-il des répercussions sur les besoins de formation ?
Tout à fait. Au fil du temps, l’entreprise identifie plus finement ses axes de progrès et des besoins de formation plus précis. Ainsi, tel manager des achats souhaitera que ses acheteurs deviennent plus robustes en matière d’écoconception. Un autre voudra que ses équipes progressent sur le TCO (coût global d’un produit ou d’un service). Pour d’autres encore, il faudra monter en compétences sur le pilotage des risques achats, et plus précisément sur le pilotage de la sous-traitance, là où se concentrent de très nombreux risques.
Qu’en est-il des grands groupes ? Comment gèrent-ils d’éventuelles difficultés dans la mise en œuvre de leur politique d’achats responsables ?
Dans les grandes organisations, les pratiques du niveau central (siège) et du niveau décentralisé (en région) sont souvent disparates. En effet, la négociation de certains achats s’effectue au niveau national pour l’ensemble du groupe. Mais, pour d’autres achats, cela n’a pas de sens. Par exemple : la gestion des déchets est une problématique locale.
Néanmoins, les acheteurs du siège doivent pouvoir « parler » avec les acheteurs locaux. Cela implique que la politique d’achats de l’entreprise soit bien comprise et appliquée au niveau local (usine…). C’est au directeur des achats de donner l’impulsion. Par exemple : organiser des séminaires qui regroupent toute la fonction achat de l’entreprise. Ou encore, nourrir la communication en s’appuyant sur des « success stories », ces sites qui mettent la politique d’achats de l’entreprise en application avec succès.
On retrouve également cette problématique et ce type de solutions dans les entreprises qui grossissent par rachats successifs. Par ailleurs, les entreprises qui emploient plus de 500 personnes doivent publier leur déclaration de performance extra-financière (DPEF) en complément de leur bilan. Souvent, l’entreprise ne sollicite pas assez la fonction achat pour alimenter cette DPEF. Une piste de progrès serait d’associer les services achats à la rédaction de cette déclaration de performance. Et donc, de former les acheteurs en vue de coconstruire un tableau de bord avec des indicateurs de performance sur les achats responsables.