Annoncée par Google en 2022, puis différée, la fin des cookies tiers n’aura finalement pas lieu en 2024. Reportée à 2025, elle préfigure toutefois une rupture dans les pratiques digitales, que de nombreuses entreprises appréhendent. Mais, que cela signifie-t-il exactement ? Quelles sont les conséquences concrètes pour les entreprises et les équipes marketing ? Comment se préparer à l’ère du post-cookie tiers ? David Lelièvre, expert en marketing digital, fait le point.
La suppression des cookies tiers sur le navigateur Google Chrome est loin d’être anecdotique. Elle marque un tournant majeur de l’histoire du digital. Son objectif : limiter les possibilités de traçage des acteurs publicitaires. En effet, plus de 70 % des spécialistes du marketing digital s’appuient sur les données des cookies tiers, principalement pour suivre leurs investissements publicitaires. Une manne estimée à 679,80 milliards de dollars en 2023 (selon Statista). La fin des cookies tiers va obliger les marketeurs à repenser leurs stratégies d’acquisition et de fidélisation clients. À eux de trouver de nouvelles façons de collecter des données et de cibler leurs audiences.
Cookies tiers, de quoi parle-t-on ?
La question de la suppression des cookies tiers est liée à la protection des données personnelles des personnes physiques.
Lorsqu’un internaute se connecte sur un site, deux types de cookies permettent de collecter des informations sur sa navigation :
- d’une part, les first-party cookies, données créées et utilisées uniquement par le site web que vous visitez pour stocker vos préférences, analyser et améliorer l’expérience utilisateur ;
- d’autre part, des cookies déposés par d’autres sites partenaires (en général publicitaires), dits cookies tiers, permettant entre autres le reciblage publicitaire ou l’attribution des conversions aux régies publicitaires.
Collecte des informations, de quoi s’agit-il ?
- Des informations liées aux comportements de l’internaute sur le site : pages consultées, interactions avec le site, sources de trafic utilisées, etc.
- Des données déduites de son navigateur : zone géographique, matériel utilisé, etc.
Quelles évolutions ?
Cette pratique de collecte des informations était la norme… jusqu’à l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général sur la protection des données) en 2018. Ce règlement a imposé le consentement préalable des internautes pour les cookies tiers.
Autrement dit, lorsque vous vous connectez sur un site web, vous devez désormais être informé et donner votre autorisation pour que d’autres acteurs que le site web en question collectent des informations sur votre navigation.
Cette tendance s’est confirmée en 2018, lorsque Apple a initié la suppression des cookies tiers avec le lancement d’ITP (Intelligence Tracking Prevention). Firefox a suivi cette initiative en 2019. En revanche, Google, avec son navigateur Chrome détenant 70 % de part de marché, n’a pas suivi cette tendance, soucieux de préserver ses intérêts publicitaires avec Google Ads.
Quelles alternatives aux cookies tiers ?
Depuis, Google tente de fédérer l’ensemble des acteurs du marché autour de nouvelles solutions alternatives. Privacy Sandbox, Fingerprinting (ciblage par cohorte), Single sign-on (SSO)… autant d’approches que les législateurs étudient avec minutie pour éviter qu’un artifice technique ne permette au final de déjouer les règles imposées par le RGPD. Bref, un jeu du chat et de la souris.
Alternative | Description | Avantages | Inconvénients |
First-party cookies | Cookies créés par le site visité pour stocker des informations sur les utilisateurs. | Respect des règles de confidentialité. Amélioration de l’expérience utilisateur sur le site. | Limités aux interactions sur un seul site. Moins efficaces pour le suivi publicitaire intersites. |
Local storage | Données stockées directement sur l’appareil de l’utilisateur via le navigateur. | Capacité de stockage plus grande que les cookies. Ne sont pas envoyés automatiquement aux serveurs. | Moins approprié pour le suivi intersites. Accès plus compliqué pour les tiers. |
Fingerprinting | Technique d’identification unique basée sur les caractéristiques du navigateur et du matériel. | Fonctionne sans stockage local. Difficile à bloquer par les utilisateurs. | Considéré comme invasif pour la vie privée. Réglementation stricte et enjeux éthiques. |
Serveur à serveur (S2S) | Échange de données entre serveurs sans intervention du client. | Aucune dépendance aux navigateurs. Moins sujet aux blocages par les utilisateurs. | Complexité de mise en œuvre. Besoin d’accords de partage de données entre serveurs. |
Cohortes (FLoC, Topics) | Groupement d’utilisateurs en fonction de leurs intérêts plutôt que suivi individuel. | Plus respectueux de la vie privée. Utile pour le ciblage publicitaire basé sur les intérêts. | Perte de précision par rapport aux cookies tiers. Acceptation variable par l’industrie et les régulateurs. |
Suivi contextuel | Ciblage basé sur le contenu de la page visitée, sans collecte de données utilisateur. | Pas de collecte de données personnelles. Compatible avec les réglementations sur la vie privée. | Moins précis que le ciblage basé sur l’utilisateur. Efficacité variable en fonction du contenu. |
Single sign-on (SSO) | Authentification unique pour accéder à plusieurs services ou applications (par exemple : Okta). | Amélioration de l’expérience utilisateur. Gestion centralisée et meilleure sécurité. | Risque de faille de sécurité centralisée. Complexité d’implémentation et de gestion. |
Quelles conséquences réelles pour les entreprises ?
La disparition des cookies tiers aura un fort impact sur le marché publicitaire.
Il y a ainsi deux conséquences majeures pour les entreprises et les équipes marketing.
La précision du ciblage publicitaire
Sur les campagnes digitales, la première conséquence est, de toute évidence, la poursuite de la diminution du volume de data disponible. Celui-ci n’a cessé de se réduire ces dix dernières années. On estime qu’après 2025, seulement 10 % des données digitales disponibles en 2015 le resteront encore… ce qui affecte la précision et donc la qualité du ciblage publicitaire (selon Atecna).
Ainsi certaines pratiques telles que le retargeting ne sont plus accessibles. En ce qui concerne le réglage, il sera par exemple impossible de définir des limites d’impressions des annonces publicitaires (caping).
La mesure de l’impact des campagnes
La deuxième conséquence réside dans la difficulté à suivre la performance des campagnes. Attribuer les conversions à chaque régie ou plateforme sera en effet complexe, à moins d’utiliser des techniques basées sur des calculs probabilistes.
Pour résumer, la fin des cookies tiers entraîne :
• diminution de la précision du ciblage publicitaire
• fin du retargeting
• fin de la mesure de limite des impressions
• difficulté à mesurer les conversions
Quelles adaptations pour les entreprises ?
Les entreprises doivent-elles se préparer à un bouleversement majeur avec la fin des cookies tiers ?
Du côté des annonceurs, la fin des cookies tiers ne semble pas devoir provoquer de grands changements immédiats. Ce n’est pas une préoccupation majeure à ce jour et les entreprises attendent les solutions techniques qui émergeront après ce nouveau report d’un an.
De nouvelles solutions sortent déjà du lot. Concernant l’analyse des conversions, le tracking server-side se présente comme une solution pertinente. Cette méthode permet aux entreprises de se réapproprier les données collectées sur leur site, en capturant et en internalisant toutes les informations de navigation, et de les partager ensuite avec leurs partenaires. Néanmoins, cette solution devra toujours respecter le consentement des internautes.
En matière de publicité, malgré les nombreux retards de Google, les acteurs n’ont pas d’autres choix que d’élaborer de nouvelles solutions. Au-delà de l’hyper-contextualisation, le marché publicitaire finira par s’entendre sur une nouvelle norme de ciblage conforme au RGPD.
En attendant, il semble primordial pour les entreprises de mieux exploiter leurs données first-party. La priorité : mieux capitaliser sur leurs propres visites, en améliorant par exemple leurs stratégies de gestion des données.
Par ailleurs, les évolutions récentes du marketing digital ont diminué l’importance des approches média traditionnelles. Qu’il s’agisse du marketing d’influence, du retail media, de la personnalisation… de nombreuses approches permettent d’autres moyens d’interagir avec ses cibles.
Une nouvelle opportunité d’envisager la relation client
Faut-il s’inquiéter de la fin des cookies tiers ? Certainement pas. De nouvelles techniques proposeront de compenser les pertes d’information. Les entreprises, elles, évolueront vers plus de transparence et de respect de la vie privée des internautes.
Au final, deux questions resteront à poser aux internautes :
- Acceptez-vous de partager des informations personnelles pour créer de la valeur dans notre relation ?
- Acceptez-vous que nous la partagions avec quelques partenaires de confiance pour mieux vous servir ?
Pour résumer, il est donc question de transparence, de respect de la vie privée et de relation de confiance. La fin des cookies tiers représente une opportunité d’envisager une nouvelle relation client.